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Editorial

Parfum de guerre civile dans le Sud

lundi 10 septembre 2012 | Ndimby A.

Désormais, il n’y a plus un seul jour sans que les médias ne rapportent les échos des affrontements avec les dahalo (bandits voleurs de zébus) dans le sud de Madagascar : nombre de victimes, témoignages de survivants, violence et barbarie des affrontements etc. Alors que la situation dans cette zone entre dans une spirale en toute apparence hors de contrôle du régime actuel, ce dernier a rajouté 600 hommes à l’effectif de la garde présidentielle afin de mettre le postérieur du Grand Hâtif bien au chaud, sans doute au cas où le chef-dahalo Remenabila viendrait uriner devant les grilles d’Ambohitsorohitra. Pendant ce temps, les villageois et les valeureux mais démunis détachements militaires envoyés dans le Sud se font trucider, faute de moyens et d’effectifs suffisants des forces de sécurité.

Mais le régime ne semble pas avoir de problèmes d’argent : 20 millions d’Ariary viennent d’être affectés à l’organisation des Journées mondiales de la jeunesse. Sans doute, histoire de récompenser Monseigneur Omar (Odon Marie Arsène Razanakolona) de ses bons et loyaux services lors de la journée du 17 mars 2009 à l’Episcopat d’Antanimena. Par contre, mettre les moyens nécessaires à disposition de l’armée dans le Sud ne semble pas être une priorité : en effet, cela ne permet pas d’avoir un jour de belles plaques en marbre à son nom, comme lors de l’inauguration d’hôpitaux tape-à-l’oeil et de stades de rugby. Je rigole quand je repense à certains articles qui proclamaient avec enthousiasme à la fin du mois de juin 2012 : « Rajoelina prend les choses en main », après que le grand stratège d’Ambohitsorohitra eut décidé de traiter le problème grandissant des dahalo par l’envoi d’UN hélicoptère Alouette II d’une capacité maximale de QUATRE passagers (en plus du pilote). Il y a au moins du Napoléon ou de l’Alexandre le Grand dans le génie de ce jeune homme. Mais il faudra aussi un jour qu’on lui enseigne la différence entre « mihetsika » et « mipelipelika ». Mba ampianaro ihany ‘oa ny ankizy…

« Si cette question de rébellion dans le Sud n’est pas rapidement gérée, on va se retrouver devant une extension du phénomène, avec le risque de voir certains politiciens (du Sud ?) tenter d’y trouver leur compte. Et un peu comme pour les sauterelles qui étaient parties de la même région il y a quelques années, le pouvoir ne se rendra compte de l’acuité du problème qu’une fois qu’il sera aux portes de la Capitale. Et soit dit en passant, la situation qui est en train de se passer dans le Sud de Madagascar rappelle un peu ce qui s’est passé il y a quelques mois au Mali : après le putsch de quelques bidasses écervelés, l’autorité de l’État et l’efficacité de l’armée ont tellement été battues en brèche que des rebelles n’ont eu aucun mal à en profiter, jusqu’à arriver à quelques centaines de kilomètres de Bamako ». Ainsi parlait, non pas Zarathoustra, mais votre humble serviteur dans un éditorial en date du 18 juin 2012. Chacun pourra évaluer la pertinence de ces lignes au fur et à mesure du temps qui s’écoule. Et comme il semble que les dahalo s’intéressent à toutes les zones riches en zébus, la géographie nous rappelle que les marchés à bestiaux du côté d’Ambositra et de Tsiroanomandidy ne se trouvent pas très loin de la Capitale.

Généraux de salon

L’armée malgache et sa pléthore de généraux de salon ont maintenant l’opportunité de démontrer ce qu’elles valent (ou ce qu’elle ne valent pas), et jusqu’à présent, la démonstration est assez éloquente. Quand il s’agit de faire étalage de force et d’imagination débordante afin d’arrêter les opposants et les journalistes ; empêcher une manifestation de l’opposition ; exprimer des opinions au service des intérêts politiques des gens au pouvoir ; ou chercher Marc Ravalomanana sous les sièges d’un avion d’Airlink (formule d’un confrère de la presse écrite), alors les Généraux Bombman et ses compères Ventru et Rakibotaina sont sur le devant de la scène. Mais quand il s’agit de faire leur véritable mission de protection des personnes et des biens, pour laquelle ils sont d’ailleurs payés par les contribuables, alors nos généraux de salon répondent aux abonnés absents. Où sont toutes ces grandes gueules de l’armée qui prétendaient vouloir affronter les troupes de la SADC, ou qui voulaient monter un commando pour capturer Marc Ravalomanana en Afrique du Sud ? Comme me disait un chauffeur de taxi qui me parlait de certains militaires médiatiques dès qu’il s’agissait de faire le fiérot devant les caméras lors d’opérations de répression sans risque contre les opposants, « Sambory aloha i Remenabila, dia ho hita eo raha tena mahavita azy ialahy isany e… ». Comme quoi, la vérité ne sort pas toujours que de la bouche des enfants, mais aussi de celle des taximen.

Il faut ici saluer le courage de Sarah Rabeharisoa, la Présidente du parti Hasin’i Madagasikara, qui a osé appeler un chat un chat, et qualifier la semaine dernière ce qui se passe dans le Sud de « guerre civile ». Le vocable de « guerre » peut faire croire à une volonté de sensationnalisme. Rappelons donc la définition donnée par l’Institut Heidelberg de recherche sur les conflits internationaux (HIIK) (PDF) : « Une guerre est un conflit violent pendant lequel la force est utilisée avec une certaine continuité de façon organisée et systématique. Les parties appliquent des mesures extensives, en fonction de la situation ». À chacun de voir si cette définition s’applique à la situation dans le Sud.

Au-delà de la définition du HIIK mentionnée plus haut, il faut quand même se demander ce qu’il y avait dans la tête des militaires qui se sont amusés à incendier des villages entiers en représailles sous prétexte que des habitants y auraient abrité Remenabila. Ne se rendent-ils pas compte que cela a planté les germes d’une véritable guerre civile, et enclenché un processus de vendetta permanente, même chez ceux qui n’avaient a priori rien à avoir avec les dahalo ? Comment vont réagir les familles qui estiment avoir subi des exactions injustes des forces de l’ordre ? La dynamique action – représailles – vengeance est un cycle infernal : on sait où elle commence, on ne sait pas où elle finit. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe dans certains pays d’Afrique comme la RDC.

Devant l’incapacité des forces de l’ordre, on a également entendu au début du mois d’août l’administrateur civil Paolo Raolinarivo, ancien Chef de district de Betroka, vouloir lever une armée de 4000 hommes pour capturer Remenabila. Si l’exaspération des populations devant l’impuissance de l’armée est légitime et compréhensible, le fait que des civils souhaitent se substituer aux forces de l’ordre pour affronter d’autres civils est un boulevard ouvert sur un risque de guerre civile. Mais va-t-on encore ne parler que de simple risque, quand ce sont les villageois qui maintenant s’organisent en autodéfense pour affronter les dahalo, vu l’incompétence de celui qui a pourtant été installé au pouvoir grâce aux armes du CAPSAT ? Où est le « monopole légitime de la violence » censé être la prérogative de l’État ? Mais bon, je pense que le DJ est plus au courant des citations de Boney M que de celles de Max Weber.

« Je ne serai pas plus nul que Ravalomanana », qu’il disait.

Pourquoi en est-on arrivé là ? La défense des griots hâtifs sur le sujet est connue : le phénomène des dahalo a toujours existé [1], et l’idole des jeunes (et des moins jeunes à l’âge bête permanent) Andry Rajoelina n’y est pour rien. Il y a quelques semaines, un forumiste pro-Rajoelina dénonçait même la part de responsabilité de Marc Ravalomanana : « la prolifération des armes faisant suite à la crise de 2002, les opérations effectuées et les promesses non tenues par RA8 même pour éradiquer les phènomenes dahalo : opération tsy minday mody, dina ny menavozo, etc., les hélicoptères et les kavin’omby avec émetteur de RA8, etc.) ». Certes, cela n’est pas faux. Mais je suis toujours estomaqué par la mauvaise foi de la clique actuellement au pouvoir et de ses griots quand ils tentent de se dédouaner de leurs responsabilités dans la situation actuelle.

Refuser de voir le lien direct entre le coup d’État de 2009 et la montée en puissance de Remenabila, la hausse de la corruption qui affecte tous les secteurs, l’indiscipline dans les forces armées, le marasme économique et tout le reste, c’est faire preuve de crétinerie congénitale (et encore, je ne vois pas ce qu’il y a de génital là-dedans). Car admettre que le phénomène existe depuis longtemps est une chose, mais refuser de voir que le coup d’État de 2009 a créé un contexte qui a favorisé son explosion en est une autre. Cela est valable pour les dahalo, le bois de rose, le banditisme urbain, les trafics d’armes,la corruption de l’administration, le chômage etc. Et dans la rubrique traditionnelle du « il nous l’avait bien dit », rappelons qu’Andry Rajoelina avait fanfaronné devant les caméras de France 24 : « je ne serai pas plus nul que le Président Ravalomanana » [2]. Comme j’écrivais à l’époque sur les copies de mes étudiants les plus cancres : « votre potentiel reste toujours à démontrer, sauf en matière de médiocrité chronique et de faculté de perturbation ».

Par conséquent, certains feraient bien de tirer la chasse sur la production de leurs neurones avant de se réfugier derrière des arguments mora du style « les dahalo ont toujours existé à Madagascar », dans le but de dédouaner Andry Rajoelina de sa responsabilité dans tout ce que nous subissons actuellement. Quand on décide de faire un coup d’État en s’attaquant aux fondements de l’état de droit, en sapant systématiquement l’autorité de l’État, et en brisant le peu de discipline qui restait encore dans l’armée en favorisant les mutineries [3], il ne faut pas s’étonner d’en payer le prix : qui sème le vent récolte la tempête. Et dans l’autre rubrique non moins traditionnelle du « je vous l’avais bien dit », rappelons ces mots d’un éditorial écrit le 22 juillet 2009 : « révolution oblige, on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs : après avoir dit “ce n’est pas grave”, le pouvoir hâtif nous dira bientôt “ce n’est pas de ma faute” ».

Faillites d’entreprises ? Ce n’est pas grave. Répression d’opposants et des médias ? Ce n’est pas grave. Dégingolade dans tous les classements internationaux ? Ce n’est pas grave. Non-reconnaissance internationale ? Ce n’est pas grave. Tension exacerbée à cause de l’absence de mesures d’apaisement ? Ce n’est pas grave. Tous les problèmes qui se sont accumulés depuis 2009 résultent donc de cette volonté du régime hâtif de dédramatiser systématiquement ce qui méritait de l’être, pour tenter de faire croire qu’il était capable de diriger le pays et d’en maîtriser les problèmes. Mais ils commencent à s’apercevoir qu’il y a des choses qui ne se gèrent pas à coups de procès bidon, d’accusation de bombinettes artisanales et de fermeture de radio. Il est plus difficile de mettre Remenabila hors d’état de nuire que de forcer l’opposition au silence. N’oublions pas également les poseurs de questions à deux balles : « vous critiquez, mais ça apporte quoi ? Vous proposez quoi comme solution ? ». Pourquoi serait-ce aux journalistes de trouver une solution à un problème créé par les politiciens ? Et pourquoi devraient-ils s’abstenir de critiquer ? Que les « pas plus nul » que Ravalomanana nous montrent plutôt ce qu’ils ont dans le ventre.

Il est évident que les richesses du Sud émoustillent les trafiquants de tout poil : les zébus, les richesses minières, les ressources halieutiques etc. Dans une situation d’affaissement d’État de droit, il est à craindre qu’une coalition ne se soit créée entre les dahalo, certains hommes politiques et des businessmen mafieux. Mais dans ce cas, on ne verrait alors dans le Sud qu’une réplication de ce qui se passe ailleurs dans le pays, dans le cadre de ce que j’appelais la winning coalition. La focalisation de l’attention vers le sud de l’île, et le contexte de chaos qui s’annonce en arrange toutefois certains, qui peuvent continuer à vaquer à leurs basses besognes, exporter leurs boutres de zébus et leurs containers de bois de rose, racketter les grandes entreprises minières. Il sera toujours temps pour eux, quand cela sentira le roussi, de s’expatrier (par exemple à l’île Maurice) pour y jouir de leurs larges investissements immobiliers, en laissant la population malgache dans le gouffre dans lequel ils les ont précipités.

Enfin, ce qui est en train de se passer va favoriser les groupes d’auto-défense civils, mais aussi l’érection de politicards qui vont s’improviser chefs de guerre, soit pour tenter de se donner une importance de général de pacotille, soit pour protéger le trafic et ses trafiquants (contre rentes et subsides), soit pour utiliser la situation à des motifs politiques pour prendre le pouvoir : on ne compte plus en Afrique le nombre de chefs de rébellions dans leur zone devenus présidents de leurs pays. Chefs de guerre, chefs de milices, chefs tribaux, mutins etc… On sait ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan avec ces voyous devenus ingérables,faisant la pluie et le beau temps car ils ont des armes mais pas de principes moraux. Il sera donc bientôt temps de parler d’un nouveau concept : le warlordisme (un chef ayant des moyens militaires et qui ne se sent redevable vis-à-vis de personne, dans un contexte où le gouvernement central est faible). Rendez-vous dans quelques mois pour le bilan, sauf si, mais j’en doute, les forces vives de la Nation (au sens noble du terme, et non dans celui galvaudé en 1991) arrivent à recanaliser les énergies dans la bonne direction. Car n’en déplaise aux griots, le phénomène Remenabila et consorts est un effet de la crise politique. Sa solution passe donc par une solution politique, mais qui diffère de cette cohorte de gloutons, de rapaces et de vauriens générée par la feuille de route et qui se sont attablés au festin, mais sans apporter de solution.

Notes

[1Les bien informés savent par exemple que sous la Deuxième République, un ministre avait été attrapé la main dans le sac dans un réseau de vols de zébus et d’exportation. Il n’a évité la prison que grâce à ses réseaux qui ont intercédé pour lui auprès de Didier Ratsiraka.

[2À revoir sur Youtube, Chronique d’une prise de pouvoir, placer le curseur à 7:22, et apprécier le clin d’œil et le sourire Colgate qui suivent cette vantardise. Sans doute croyait-il que c’étaient les caméras de Paramount qui filmaient un mauvais film de série B.

[3Ne jamais oublier le discours du 31 janvier 2009, durant lequel Rajoelina avait exigé que toutes les forces de l’ordre n’obéissent plus qu’à lui. Certains griots aiment trop commencer l’histoire de Madagascar à partir du transfert de pouvoir de Marc Ravalomanana vers le Directoire, et oublient sciemment tous les faits historiques qui se sont passés auparavant.

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