Les aléas de l’Histoire
L’Histoire n’avance jamais droit. Elle chancelle, recule, saute des chapitres, change d’auteur sans prévenir. On voudrait y lire une logique, des plans, des causalités claires… Y identifier les mains invisibles qui guident les révolutions ou les chutes des pouvoirs… Mais en fait l’histoire se débrouille seule. Elle naît du hasard, de l’orgueil et des hubris démesurés, des rancunes d’officiers brimés, des colères d’un peuple exaspéré, des calculs et des complots tristes d’une opposition impuissante et de ses satellites en orbite… L’Histoire avance ainsi, bancale et imprévisible, tissée de coïncidences, d’ambitions blessées et d’occasions saisies au vol.
Le kaléidoscope de la politique malagasy
Pour rajouter de l’imprévisibilité à l’imprévisible, la politique malgache s’avère en fait être un énorme kaléidoscope… Vous savez ce dispositif pour émerveiller les enfants, bâti d’un tube optique contenant des fragments colorés et des miroirs … Le moindre mouvement y transforme par réflexion (réflexion n’est peut-être pas le bon mot) croisée des images instables qui se recomposent de manière permanente…
Il en est de même de la recomposition permanente de la scène politique gasy … Les initiatives des uns et des autres, improvisations impulsives prises au fil de rencontres et d’improbables opportunités, dessinent un tableau que les politistes, paraît-il avisés, prétendent décrypter … La politique fiction malagasy est un cadre riche où peut s’exercer l’imagination la plus débridée…. Mais par-dessus tout cela domine encore et toujours … le hasard.
Alors, faut-il croire aux complots ? Oui, mais pas comme à des faits établis… Plutôt comme des hypothèses d’organisation du chaos que l’on a envie d’attribuer à certains. L’idée de complot donne forme à l’incompréhensible : on peut au moins avoir le sentiment que quelqu’un est aux commandes de l’avion. Même si l’origine de la licence des pilotes n’est pas rassurante. Mais le plus souvent, personne ne tient vraiment le manche. Au bout du compte c’est le hasard qui conduit… Certains prétendent savoir où il va…
La séquence malgache Septembre Octobre 2025 en est l’illustration… Le renversement effectif du pouvoir de Andry Rajaoelina était-il le fruit d’un complot ?
Des rumeurs de renversement du pouvoir bruissaient depuis quelques mois… Avec l’échafaudage de logiques d’organisation théorique d’une transition… Sur fond de misère, de dégradation des conditions de vie et d’exaspération sociale de tous ceux-là qui, entre délestages, pénuries d’eau, problèmes de sécurité n’en pouvaient plus de l’incapacité du pouvoir … Incapacité à répondre aux problèmes vitaux tout en croyant que les gens pouvaient se satisfaire de cosmétique et de spectacle … incapacité à entendre et à prendre en compte … incapacité à freiner cette choquante explosion des inégalités : l’enrichissement d’une frange et la paupérisation d’une masse croissante… Et sur fond de cette insupportable violence symbolique : l’impunité de la corruption de haut vol.
Dans les cercles « avertis », on entendait : « ça va nécessairement exploser… »… Mais tout un chacun savait que quatre facteurs majeurs devaient être a minima réunis pour qu’un renversement soit rendu possible, :
- l’appui ou tout au moins la bienveillance ou la neutralité des forces armées,
- la levée d’un mouvement populaire de grande envergure,
- des moyens financiers conséquents pour pouvoir influer sur le premier facteur
- et enfin, la mansuétude de la communauté internationale…
- parce qu’il faut, autant que possible, l’habillage d’un semblant de constitutionnalité … On ne va pas subir de nouveau ces mortifères sanctions internationales.
Le cœur du réacteur devait obligatoirement se construire autour de ces 4 éléments…
Et pour le reste, les soutiens, les réseaux, les équipes… le programme … On fera comme d’habitude : on improvisera… On saura bien trouver dans le microcosme les alliances opportunistes pour faire tourner la machine si on arrive à en prendre les commandes… Des palanquées de compétiteurs sont toujours prêts, avec leurs CV, sur la ligne de départ de la course aux fauteuils.
Complot il y a eu
Mais en fait, complot il y a bien eu … UN VRAI complot engagé au cours de cette séquence… un beau vrai complot … pas comme ceux que nos républiques bananières savent inventer… Pour se faire peur … Ou faire peur en embastillant quelques lampistes.
Non, on avait ici la vraie belle conspiration de certains qui croyaient avoir assuré la conjonction des quatre facteurs …
Ce complot c’était celui d’un milliardaire aujourd’hui embastillé allié à un président du sénat aujourd’hui disparu, tous deux ligués contre un président de la république aujourd’hui en fuite on ne sait où, complot qui croyait profiter de l’inespéré mouvement populaire d’une extraordinaire ampleur spontanée qu’il aurait dû faire dégénérer en pillages et destructions pour pouvoir engager une répression encore plus dure par des corps d’armée qu’ils leur croyaient acquis pour couvrir une procédure d’urgence profitant de l’absence du président en titre qui de fait se serait spontanément exilé en laissant au numéro deux de l’Etat l’opportunité de prendre la tête du pouvoir tout en satisfaisant les exigences de constitutionnalité pour satisfaire la communauté internationale …
Ouf… Elle est longue celle-là … La confusion de la séquence rendait impossible une narration structurée.
Mais le beau scénario du complot imaginé s’est trouvé largement contrarié : le lapin président revient, dissout le gouvernement, limoge le président du Sénat, nomme un militaire pour rebâtir une administration centrale, en espérant reprendre la main … Et … Catastrophe les alliés militaires des uns et des autres, que chacun se croyait respectivement acquis, commencent par déserter le palais, arrêtent de se tirer dessus, refusent de tirer sur la foule … et ouvrent la place symbolique du 13 Mai aux manifestants … Et c’est la débandade générale … La scène du général au stetson et aux médailles cliquetantes en train de se sauver devait être des plus réjouissantes…
Révolution ou Implosion
Mais on n’a pas assisté à une révolution au sens propre du terme mais à l’implosion d’un système.
Révolution désigne basculement volontaire et organisé du pouvoir. Elle résulte d’une mobilisation collective, structurée, portée par une intention politique claire : renverser un ordre établi pour en construire un autre… Elle suppose des acteurs identifiés, une stratégie, un horizon commun. Le changement est dirigé, assumé… Il se traduit par une reconfiguration des institutions… Et des valeurs qui les fondent.
L’implosion, au contraire, ne relève pas d’un projet … C’est une défaillance qui traduit l’usure interne d’un système. Les alliances se délitent, les structures se désagrègent, les élites se neutralisent … Ce n’est pas une conquête, mais un effondrement diffus… Qui laisse un vide que d’autres forces finissent par remplir …
L’occupation de l’espace vide – les maîtres et les soldats
Dans ce vide s’est opportunément installé un pouvoir militaire… qui ne surgit pas du néant. Ce pouvoir militaire s’inscrit dans une généalogie de crises successives où plusieurs de ses acteurs ont déjà joué un rôle décisif.
Autour du colonel Michaël Randrianirina, nouveau visage charismatique de la transition, se sont rassemblés des officiers aux trajectoires entremêlées : stratèges du commandement, vétérans frustrés des mutineries de 2009 dont ils avaient été les artisans, coordinateurs logistiques, médiateurs expérimentés…
Tous appartiennent à une génération d’officiers formée par les transitions, rompus aux jeux d’équilibres entre casernes et palais, loyautés et opportunismes… à la compétence bâtie pour certains à l’étranger.
Leurs réseaux et leur expérience des renversements passés expliquent peut-être la précision de la prise de pouvoir d’octobre 2025… Celle-là n’avait rien d’une mutinerie impromptue … C’était la reconduction inespérée d’un scénario appris… puis retravaillé a minima … Scénario qui semble s’être réalisé in extremis juste avant que ne commence à s’éteindre la flamme GenZ.
L’hypothèse d’une coordination issue de cercles initiés ajoute quand même une touche de cohérence jusque-là invisible : la structuration des milieux d’influence est telle à Madagascar que plusieurs de ces officiers ont probablement fréquenté les mêmes milieux… Milieux où se mêlent hiérarchie, discipline et serment de fraternité.
L’architecture du pouvoir mis en place associant chef charismatique, stratège, garant institutionnel et médiateurs fait furieusement penser plus à un organigramme de loge qu’à une logique de gouvernement.
Révolution et délitement
Madagascar est un cas d’école… Parce qu’en fait, entre hasard et délitement, il apparait qu’on n’a jamais eu de révolution si on s’en tient à cette caractérisation. On n’aurait donc eu affaire qu’à des implosions … On n’aurait vu jusque-là que des séquences découlant logiquement de processus de délitement… Et se pose alors un questionnement : pourquoi et comment ces pouvoirs se délitent ils de manière aussi systématique ?
Peut-être parce que le pouvoir à Madagascar ne se construit jamais ni sur une base idéologique ni sur une base institutionnelle solide… Il se construit sur des équilibres précaires de personnes … de clans… de rentes. Chaque régime hérite d’un appareil dévitalisé, d’une administration instrumentalisée et d’une société civile démobilisée. Le délitement procède d’une usure interne : clientélisme, exclusion, perte de légitimité… Et puis … Effondrement.
Sans culture de continuité ni responsabilité collective, chaque transition devient recyclage. Ce ne sont pas des révolutions, mais des implosions successives d’un système incapable de se réformer de l’intérieur… Et où le changement d’hommes masque la permanence des mêmes logiques de capture et de survie.
Vous avez dit culture de continuité ?
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 09/11/2025
Les Chroniques de Ragidro
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Vos commentaires
J’ai beaucoup apprécié votre article,à plus d’un titre.C’est vrai qu’ on a vite fait de parler de révolution à Madagascar ,alors que les bases mêmes d’une vraie révolution,que vous avez très bien rappelées, sont absentes dans le contexte. Je pense que le terme ’implosion’ ou ’convulsion’,me paraît plus approprié pour qualifier les soubresauts à répétition que le pays traverse.Je vous rappellerais juste que le pays en est à son cinquième ’coup d’état ’,et que je ne percois pas l’ombre d’une amélioration, alors croira qui veut mais pour ma part cela fait très longtemps que je n’y crois plus.Je l’ai évoqué dans mon précédent message l’idée d’une mise sous tutelle collégiale internationale, histoire de bâtir les structures dont a besoin le pays pour pouvoir faire véritablement sa révolution.Alors on peut toujours rêver, me diriez vous...
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Des interprétations et analyses probables mais qui occultent trois paramètres toujours predominants depuis le... 15 juin 1975...
Paramètres qualifiés de maux et fléaux qui ne cessent de détruire la Nation et de dénaturer les missions de l’Etat, en l’occurrence :
1- la mentalité des autorités politiques de profiter de leurs positions pour capter à leurs profits les biens communs
2- la croyance chez les membres de la force de défense et sécuritaire du pays qu’ils sont toujours les pilliers et sources de détention d’autorité de décision dans ce pays
3- l’ethnicisation des pratiques politiques afin de se protéger des illégalités commises durant l’exercice des autorités au sein des institutions de l’Etat.
Ce sont les trois fléaux qui ont abouti à la situation lamentable vécue actuellement par le peuple Malagasy...
Des fléaux qui ont fait émergé les fameux « tsy maty manota » dans tous les régimes politiques successifs depuis cette date du 15 juin 1975...
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