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Tribune libre

La gueule de bois

lundi 28 juin 2010 | Georges Rabehevitra

Tout le monde connaît ce phénomène qui vous met dans un état lamentable après une nuit bien arrosée. On essaye tout pour tenter d’apaiser les maux de tête, la langue pâteuse, les jambes qui flagellent et les grenouilles qui dansent dans l’estomac.

Après avoir faire semblant de faire la fête pour le cinquantenaire de l’Indépendance, notre pays est à peu près dans le même état après avoir essayé de faire oublier l’état lamentable où il est depuis janvier 2009.

Mon ami Ndimby rappelait déjà que du temps des romains, les politiques donnaient du pain et des jeux pour essayer de faire en sorte que le peuple oublie les malheurs en tous genres. Oui mais les romains, ils avaient au moins du pain, mais nous, après des milliers de faillites d’entreprise et un chômage urbain de masse qui pèse très lourd socialement, le pain se fait rare dans les foyers des plus démunis.

En France, malgré que le 14 juillet soit une grande commémoration, la Présidence, suivie du Ministère des Affaires Etrangères, ont renoncé à leurs fameuses garden partys, par mesure d’austérité. Bon ce n’est pas chez nous que des dirigeants auraient pris la décision de renoncer à quoi que ce soit par mesure d’économie.

Après les jeux, les concerts donnés par des artistes étrangers qui sont payés par les deniers publics, nous voilà revenus sur terre avec notre gueule de bois. Rien n’a changé à part que les caisses de l’Etat, déjà presque vide, ont été vidées encore un peu plus pour essayer d’oublier.

Oublier que cela fait presque un an et demi que nous sommes dans un pays dirigé par des gens qui n’ont pas reçu le moindre vote d’aucun citoyen. Un pays où l’on met en prison quand on veut et comme l’on veut. Un pays où l’on n’arrête pas de changer de PM, de ministres, de hauts fonctionnaires, de PDS,… comme si le mot d’ordre était que chacun puisse se servir dans la gamelle.

Oublier que la Transition, par principe, est d’une durée déterminée et courte, la plus courte possible.

Oublier que du point de vue économie, c’est le désastre total. Des centaines d’entreprises qui ont fermé leurs portes. Des dizaines de milliers de chômeurs urbains désœuvrés et qui ne peuvent qu’entraîner des problèmes sociaux insolubles. Des aides budgétaires qui ne viendront pas.

Oublier que nous avons une Armée complètement désorganisée et qui sert tout, sauf la Nation. Des militaires de tous grades qui pensent qu’il suffit d’avoir une grande gueule pour avoir des promotions.

Oublier que du point de vue diplomatique, nous sommes isolés dans un monde où au contraire, même les ennemis d’hier essaient de trouver ensemble des solutions aux problèmes de plus en plus complexes d’un monde moderne. Ce n’est pas parce que la France, pour ses intérêts particuliers et pour montrer que rien ne se fera sans elle, la Turquie ou le Pakistan, viennent faire courbette séparément, que cela changera quelque chose à l’isolement diplomatique dont nous sommes victimes. Sur ce point particulier de la diplomatie, je dirai que les représentations étrangères qui viennent présenter des lettres de créances ou autres devant le pouvoir actuel, insultent le peuple malgache. On ne verra jamais dans un autre pays des lettres de créances présentées à des gens qui ne sont pas élus ou mis au pouvoir par le droit et non par la force. Pour moi, quand l’Ambassadeur de France répond officiellement à une invitation publique pour une fête de l’Indépendance, c’est comme s’il s’en foutait de l’opinion du peuple malgache et que ce qui compte avant tout c’est les intérêts de la France dans notre pays. Je pense que la France a tort d’agir de la sorte car cela ne fera que renforcer la thèse de ceux qui pensent que notre pays est tout sauf indépendant, et faire durer ce sentiment diffus de francophobie ambiante. Du point de vue de la diplomatie, j’ai l’impression que la leçon de la Côte d’Ivoire n’a pas été apparemment apprise.

Oublier que du point de vue de la démocratie et de l’État de droit, nous sommes revenus bien en arrière, bien loin avant l’Indépendance. On emprisonne à tout va comme si c’était la solution aux problèmes de troubles politiques du pays. On emprisonne même des journalistes dont la seule faute serait d’avoir donné la parole. On en est même venu à casser des micros, vilaines machines qui ont osé amplifier et transmettre la parole.

Oublier que les indemnités et salaires des membres de la HAT, vu leur nombre pléthorique, continuent à peser lourdement sur les dépenses publiques non productives.

Oublier les pillages en tous genres dont notre pays est la victime. 1.500 licences de pêches attribuées en 6 mois, dont une majeure partie à des palangriers étrangers qui vont rafler et racler nos zones économiques à leur seul profit. Des bois de roses exportés avec le minimum de taxes, avec la complicité totale du pouvoir en place. Du riz volé chez Tiko dont on ne saura jamais au profit de qui. Une mine de fer attribuée à un consortium chinois, en prétextant que l’appel d’offres a été lancé sous l’ancien régime. Je rappelle quand même à toute cette bande d’assoiffés de pouvoir et de l’argent qui va avec, qu’attribuer des marchés dont les conséquences vont aller sur plusieurs générations, ne doit relever que de la décision des personnes élues par le peuple, à qui celui-ci a donné mandat. Tout citoyen serait en droit d’exiger la vérité et les conditions d’une telle transaction. On voit bien que, dans ce cas précis, il y a double forfaiture : attribuer un marché à long terme et dans des conditions nébuleuses, sans aucun débat public. On a mis au pilori l’ancien pouvoir pour moins que cela (les terrains attribués en concession à Daewoo).

Oublier l’insécurité des biens et des personnes, aussi bien en ville, sur les routes que dans la campagne profonde. Ce qui est, quoique l’on dise, le signe d’une absence totale de l’autorité de l’État. Je rappelle que c’est le premier, le tout premier, devoir de l’État que d’assurer la sécurité de ses citoyens. Alors qu’actuellement, il semble que le premier devoir du pouvoir en place est d’assurer sa propre sécurité pour qu’il y reste.

C’est bien beau tout cela mais nous voilà revenu à la réalité, et elle est cruelle. Tous ces problèmes nous reviennent dans la figure et ne se sont pas résolus le temps de la « cuite ». Bien au contraire.

Ce n’est certainement pas parce que quelques experts en droit public se réunissent pour essayer de déchiffrer les souhaits en tous genres, ou d’établir des Institutions théoriquement solides, que le miracle viendra d’une nouvelle Constitution ou d’une nouvelle République.

La réalité politique de notre pays c’est que nous avons à sa tête quelqu’un qui ne représente que lui-même et sa clique. La première des choses à faire c’est donc d’essayer de mettre à la tête, même provisoirement, une personne qui sera élue par le peuple, pour le représenter. Pour moi, c’est la seule solution pour essayer de sortir de ce bourbier le plus tôt possible. Mon ami Patrick disait déjà dans un de ses éditoriaux : « pour éviter un enlisement à l’ivoirienne, il faudra un accord solennel sur un calendrier global qui inclura la prise en compte de la question la plus contentieuse, la désignation d’un Chef d’État légitime et reconnu par tous. Un consensus est indispensable ».

Imaginez que l’on passe à des élections législatives avec toujours Andry Rajoelina à la tête de l’État. Les députés ainsi élus par le peuple vont aller faire courbette à un Président de nulle part et qui n’a été élu par personne ? C’est ce même Président que personne n’a élu qui va nommer un Premier Ministre en charge de conduire un Gouvernement ? Et c’est cette même personne qui va représenter notre pays auprès du monde ?

La nouvelle Constitution et la nouvelle République (si tant cela changerait quelque chose) sont un peu trop loin pour calmer notre gueule de bois et pour éviter que l’on se détourne encore des vrais problèmes en se saoulant ou en détournant la tête, par dépit.

Alors, mesdames et messieurs du pouvoir, vous êtes en train de tuer notre pays à petit feu. Réveillez-vous, vous n’êtes pas du tout légitime, alors ne soyez pas en plus à la fois les assassins et les fossoyeurs de notre pays.

Vous ne trouvez pas que c’est un peu trop, non ?

Georges RABEHEVITRA

8 commentaires

Vos commentaires

  • 28 juin 2010 à 08:13 | razafi (#1661)

    Oui c’est un peu trop !!!

    Merci pour cet article !

  • 28 juin 2010 à 09:31 | Rainivoanjo (#1030)

    « On ne verra jamais dans un autre pays des lettres de créances présentées à des gens qui ne sont pas élus ou mis au pouvoir par le droit et non par la force » : ah bon, Mswati III de Swaziland, ça vous dit quelque chose ? C’est vrai, c’est un droit un peu spécial ; sous prétexte qu’il y a x générations, son aïeul a été roi, plusieurs années après, on continue les pratiques dont le droit de cuissage. Ne soyez pas obsédé par le droit : il y a des choses plus importantes pour la vie des malgaches actuellement. Des millions de personnes ont perdu leur travail partout dans le monde, dont les Etats-Unis, c’est bizarre, il n’y a pas eu de coup d’état là-bas ! A moins que vous dites que quand des personnes perdent leur travail à Madagascar, c’est à cause du coup d’état mais quand c’est ailleurs, c’est à cause de la crise ! Le gouvernement actuel a échoué à différents niveaux, dont la sécurité : il n’est pas nécessaire d’en rajouter !

    • 28 juin 2010 à 09:51 | da fily (#2745) répond à Rainivoanjo

      Oh ry rainy a ! « ilay bandy, ilay bandy,...avy any aminay aaa !! »

      Ianao io izany toa mandrefy lava @ ireny tsy dia azo todiana ireny. Fa rangahy ity à, inona moa no ilàna ny ohatra omenao tahaky ny izay misy any USA ? Fa angaha i filoha Obama dia tsy mitaky sy sasatry ny mihezaka mba hampiova ny fianainan’ny amerikana eo @ lafiny sôsialy ? Sao dia tsy manankery an’io filoha io ary izato ranamana, fa na dia izany aza, iny no VOAFIDY, iny no LANY, ary ataoko fa an’isany filoha mitondra fiovàna izy raha hatramin’izao aloha.

    • 28 juin 2010 à 12:15 | kakilay (#2022) répond à Rainivoanjo

      Drôle de raisonnement ! Mais ce pays ne manque pas de gens très bien intentionnées qui peuvent laver plus blanc et plus propre tout ce qui n’est pas sale.

      « Des millions de personnes ont perdu leur travail partout dans le monde, dont les Etats-Unis, c’est bizarre, il n’y a pas eu de coup d’état là-bas ! A moins que vous dites que quand des personnes perdent leur travail à Madagascar, c’est à cause du coup d’état mais quand c’est ailleurs, c’est à cause de la crise ! »

      Chapeau !

  • 28 juin 2010 à 09:33 | da fily (#2745)

    Oncle Georges bonjour, alors chiche pour le vazim-boana, tant qu’à faire ?

    Attention, résultat pas tout à fait garanti. Mais vous savez, entre la hat qui nous saoûle depuis, et la cuite du week-end ( pour ceux qui ont pensé qu’il fallait trinquer à ça !), je crois que nous avons atteint des sommets en matière d’alcoologie. Oui j’insiste sur ce mot, car l’alcoolémie elle, n’est qu’un état subit par l’absorption plus ou moins conséquente de rhum, de bière, de vin voire de TG. L’alcoologie est une parfaite connaissance du principe, il est le résultat d’une longue pratique, d’une expérience soutenue qui induit une addiction durable pour faire du pratiquant un expert en la matière. Je rappelle que les alternances cuites et gueules de bois sont vitales et nécessaires pour comprendre l’oscillement cyclique du cerveau qui hésite entre état comateux, réveil pénible ou furie passagère, celà afin d’affiner la compréhension du mode de fonctionnement de cet organe exceptionnel sollicité plus que de raison dans ce cas précis. Nous sommes donc les cobayes les plus consistants qui pouvons, les jours de sevrage, tenter d’émettre un avis éclairé sur la question. Mais il est évident que sans l’imbibition régulière, il serait difficile de supporter tous ce fatras ! Bôf, ce n’est qu’une brève de comptoir de plus !

  • 28 juin 2010 à 09:55 | observatrice (#2065)

    la gueule de bois , le réveil douloureux , c’était prévu !

    le pire est à venir : la période dépressive qui va suivre : l’enlisement à l’ivoirienne est déjà bien entamé !

  • 28 juin 2010 à 12:27 | kotondrasoa (#3872)

    Rainivoanjo an !

    Ny zava-misy any Swaziland sy any an-tany hafa dia, safidin-drizareo toy ny safidin’ny Anglise mbola hanana Mpanjaka na dia ny Praiminisitra azo no tena tompom-pahefana fa, ny eto amintsika dia tsy nisafidy ny hiaina izao tetezamita izao ny ankamaroan’ny Malagasy.

    Rehefa tsy misy koa ny fifikirana amin’ny lalàna dia ny fanjakan’Ibaroa no misy, izay hiainantsika ankotrio koa rariny loatra ary tohanako ny hevitr’ireo izay milaza toa an’i diégo hoe làlam-panorenana sy fifidianana ihany no ady ao.

    Fifidianana izay tsy tarihin’ny mpanongam-panjakana irery anefa fa aleo hiaraha-manao dia amin’izay mitranga ny tokony ho izy (tsy ny tena marina fa tsy maintsy mbola hisy hahita fika ihany ao)

    Da fily,

    j’ai apprécié l’exposé sur l’alcoologie. Tous ces termes scientifiques pour m’expliquer que ce plaisir décuplé quand on est nombreux m’incitent à penser qu’il faudrait que j’arrête de m’imbiber (je ne le fais pas tous les jours mais colère sans éxutoire oblige ) pour oublier parfois la misère actuelle de mon pays.

    Georges, le vrai problème est que les dirigeants actuels ne se reconnaissent pas comme usurpateurs.

  • 28 juin 2010 à 14:58 | ramanankasina (#3023)

    Votre gueule de bois n’enlève rien de votre perspicacité ! Bravo Monsieur Rabehevitra !

    Dommage que l’on ne puisse pas féliciter de même les organisateurs de ces festivités. Ils viennent de démontrer un « pouvoir de fait » qui n’a rien a voir ni avec la légitimité ni avec la légalité.
    Comment pourraient-ils se prétendre légitimes, quand pour un Jubilé (cinquantième, tout de même), ils ont ignoré la partie « commémoration » ? savent-ils seulement le contexte d’obtention de cette fameuse « Indépendance » et ce qu’il en coûtait ?
    Savent-ils seulement ce que Indépendance veut dire et ce que cela requiert ?
    Qu’est-ce que la jeune génération va retenir de cette célébration ? qu’il y a eu un mégateuf et c’est tout ?
    Que tant pis si Madagascar est plus que jamais isolé sur la scène internationale ? que l’on peut être sanctionné, mis au ban, on s’en fout : l’essentiel est qu’on puisse faire la fête entre copains à cervelle d’ados ?!!!
    La date du 26 juin, apparement n’est qu’un prétexte parmi d’autres pour faire la teuf ?!!

    Bandes de cancres et d’abrutis !!!

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