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Economie

Air Madagascar

Bientôt les ailes brisées ?

lundi 27 avril 2009 | Ndimby A. |  11935 visites  | 30 commentaires 

Selon les révélations du Ministre des Transports de la Transition Roland Ranjatoelina (par ailleurs ancien de la Compagnie et qui y bénéficie d’un a priori favorable), Air Madagascar est au bord de la cessation de paiement. Le Ministre a eu le mérite d’avoir dit tout haut ce que beaucoup savent tout bas. Et comme nous autres Malgaches appliquons avec zèle et entrain le système du bouc émissaire, la question essentielle était donc : sur qui va-t-on placer la faute, puisque de toute façon elle elle ne peut être que celle d’autrui. Vae victis (malheur au vaincu) ! Grâce à la crise politique, le bouc émissaire est tout trouvé : Marc Ravalomanana et les Directeurs généraux allemands qui se sont succédés. L’accusation est facile, et donc pratique pour le pouvoir de transition qui y voit un dossier fumant de plus pour discréditer Marc Ravalomanana.

En 2002, c’était déjà plus ou moins le même topo que maintenant : une crise politique est toujours une catastrophe pour le tourisme. Air Madagascar était en crise financière depuis deux ou trois ans, quand la venue de la crise politique a aggravé la situation de la Compagnie. Celle-ci a dû sa survie à une conférence des créanciers qui a effacé la moitié de la dette. A l’époque l’Etat malgache avait les moyens de payer cash 10 millions de dollars pour amadouer les créanciers. Mais maintenant, les créanciers accepteront-ils une deuxième conférence ? D’autant que l’Etat de transition n’a plus un sou vaillant pour les apprivoiser. Les perspectives sont donc moroses, sauf si les bonnes vieilles amitiés hexagonales de Andry Rajoelina ne mettaient Air Madagascar dans l’escarcelle d’Air France. Reste à savoir si celle-ci est encore intéressée.

Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser que l’explication des causes par le Ministre Ranjatoelina est quelque part trop simpliste, même s’il est de bon ton pour lui de hurler avec les loups. S’il est évident que Marc Ravalomanana et les Allemands portent une part de responsabilité, il serait juste de se poser également des questions sur les autres implications. Les Ministres de tutelle depuis 7 ans, dont Zaza Ramandimbiarison ainsi que le personnel peuvent-ils être exonérés ? Car selon notre analyse, la quasi-faillite actuelle de Air Madagascar résulte en fait d’un système complexe de facteurs exogènes et endogènes.

Un secteur mondialement malade

Depuis plusieurs années, le transport aérien mondial va mal, suite à une succession de crises dont il a à chaque fois du mal à se relever. Air France et Lufthansa, qui ont pourtant les reins solides, ont annoncé une réduction importante de leur profit, tout en restant quand même bénéficiaires, du moins pour le moment (1,35 milliards d’euros pour Lufthansa en 2008). La prestigieuse Air Mauritius elle-même est en grande difficulté, accentuées par son choix de fuel hedging : d’Avril à Décembre 2008, elle a perdu 27 millions de dollars. Les déboires d’Alitalia font régulièrement la une des journaux européens : la compagnie nationale italienne a perdu 600 millions d’euros en 2008. Le transport aérien va donc très mal : l’Association internationale des transporteurs aériens (IATA) prévoit des pertes de 4,7 milliards de dollars US en 2009. Ce n’est pas seulement de la macro-économie élucubrative : cela se traduit très concrètement en nombre de touristes, donc de passagers.

Dans ce contexte plus que maussade, il était donc illusoire d’espérer qu’Air Madagascar puisse bien se porter avec toutes ses contraintes. Elle n’a pas l’assise financière des grandes compagnies, et doit souvent emprunter. Elle est à la merci du monopole de Total Aviation en matière de coût de kérosène à Madagascar, toujours excessif par rapport à la moyenne mondiale. Ses revenus dépendent à 80% du marché international, et donc sont à la merci des crises économiques mondiales et des crises politiques locales. Et surtout, elle n’a pas les moyens d’affronter les grosses compagnies internationales, qui ont plus de possibilités de pratiquer l’économie d’échelle sur leurs vastes réseaux : ce que Air France perd sur la ligne vers Madagascar, elle va le gagner vers la Martinique ou les Etats-Unis. Mais ce que Air Madagascar perd sur sa ligne vers Paris, où va-t-elle le récupérer ?

Open Sky : meurtre programmé pour Air Madagascar

Cet environnement hostile a fait que l’Open Sky a creusé la tombe d’Air Madagascar. Cette décision précipitée avait obligé Air Madagascar à jouer à armes inégales avec ses adversaires. Comme si une sélection de footballeurs d’Antanikatsaka-Itaosy était envoyée jouer contre le Real de Madrid. Cette décision de l’Open Sky avait été préparée sous Didier Ratsiraka, et appliquée après un moratoire par … Zaza Ramandimbiarison (actuel Directeur de cabinet de la HAT), à l’époque Vice-Premier ministre (VPM) chargé entre autres des transports au sein du gouvernement Ravalomanana. Avec précipitation, car entre temps rien n’avait été fait pour « muscler » la Compagnie nationale, et aussi parce que la mise en application de la fin du moratoire en 2004 ne prenait pas en compte les impacts de la crise politique de 2002, qui avait vu la Compagnie être en situation de faillite.

En fait, le drame de Air Madagascar est ce cordon ombilical pernicieux entre l’Etat et elle, du fait de son statut de Compagnie nationale qui lui a toujours apporté beaucoup d’inconvénients, mais rarement des avantages. Il y a donc toujours eu, au pire, une politisation de la gestion, et au moins pire, l’ombre pesante du parti dominant. C’était vrai au temps de Ratsiraka (I et II), un peu moins au temps de Zafy, vrai au temps de Ravalomanana. Au temps de Ratsiraka I (entendre par là de 1975 à 1991), pour cause de quota ethnique, le recrutement des stewards et des hôtesses suivaient des paramètres qui n’avaient pas de lien direct avec la compétence. Le programme de vol était à la merci de perturbations pour cause de vols présidentiels.

Sous Marc Ravalomanana, l’utilisation des services d’Air Madagascar (factures, exploitation d’Air Force One) a entrainé d’énormes factures très longtemps impayées, que Herizo Razafimahaleo avait révélé en son temps. Ces factures ont mis des années pour être payées, ce qui a obligé la Compagnie à emprunter auprès des banques pour couvrir le gap, avec ce que cela suppose d’intérêts bancaires et d’impacts sur la trésorerie. Là encore, Zaza Ramandimbiarison en tant qu’ancien VPM de tutelle devrait porter sa part. En outre, les journaux qui déplaisaient au Gouvernement (dont Madagascar-Tribune, sous sa version papier à l’époque) ne pouvaient bénéficier d’insertions publicitaires ou de distribution à bord. C’est cet interventionnisme étatique mal placé dans la gestion qui a toujours été préjudiciable à la Compagnie.

Des régimes qui se ressemblent

Sous tous les régimes, le Conseil d’administration a toujours été la récompense des amis, du fait des avantages de la fonction d’administrateur. Ainsi, en pleine crise, le 16 mars 2009, quatre ministres sont encore nommés membres du nouveau Conseil d’administration (CA). Le lendemain, Ravalomanana quittait le pouvoir, et on ne sait pas trop quelle fut la portée de la nomination de ce CA. On attend avec intérêt la nomination du Directeur général et du nouveau CA par Andry Rajoelina, qui ne saurait que récompenser les bons et loyaux services. Il a l’embarras du choix dans les compétences disponibles au sein des bidasses, des prisonniers politiques et des juristes défroqués.

De tous temps également, l’Etat a obligé la Compagnie à desservir le réseau social pour désenclaver les régions. Le résultat d’une erreur grossière de stratégie au temps de la Ière République, qui a préféré multiplier des aéroports au lieu d’investir dans plus de routes. Madagascar a donc hérité d’un réseau de lignes sociales devenu obligatoire tant pour des raisons géographiques (désenclavement) que politiques. Malgré son caractère fortement déficitaire, l’arrêt d’une ligne sociale pouvait entrainer le mécontentement de toute une région, donc d’électeurs potentiels. Quand on regarde distraitement sur la télévision le programme de vols d’Air Madagascar, on se demande bien comment le volume de trafic sur la ligne vers Kandreho ou Ankavandra peut-il rendre celle-ci rentable. Mais la politique a ses raisons que la gestion ignore.

De ce qui précède, les causes de la situation catastrophique de la Compagnie et sa quasi-faillite résultent de tout un ensemble de facteurs exogènes, qu’elle a du subir sans pouvoir faire grand-chose. Toutefois, son personnel ne doit pas non plus être exonéré, dans des responsabilités au moins à proportions égales des facteurs externes.

Choix de Lufthansa culturellement voué à l’échec

Depuis la création d’Air Madagascar, le personnel a été privilégié par rapport à la moyenne nationale en termes d’avantages et de salaires. Malheureusement, l’évolution de ces avantages dans le temps n’a pas suivi les habitudes ou les aspirations du personnel, ce qui s’est traduit par des frustrations depuis les 15 dernières années. Le train de vie de la Compagnie a du se réadapter à la baisse.

Ainsi, dans un contexte de grogne latente face aux revendications salariales difficilement satisfaites, deux facteurs ont été très mal vécus par le personnel. D’une part, le recrutement de personnel expatrié, notamment des pilotes. D’autre part, le recrutement de Lufthansa consulting, qui s’est traduit par la nomination d’un Directeur général Allemand. Les avantages de ces expatriés, jugés sans doute à raison faramineux par rapport aux conditions des locaux, ont créé une fracture irréversible qui a fait que finalement, les Allemands n’ont jamais été en mesure de créer la dynamique positive qui était nécessaire au redressement au sein de la Compagnie. Dans une société nationale où la malgachisation des cadres a été vécue en 1973 comme une grande victoire nationaliste, ramener des dirigeants vazaha à sa tête a été vécu comme un déshonorant retour en arrière. En imposant un Allemand comme Directeur général d’Air Madagascar, Marc Ravalomanana n’a pas compté avec ce facteur culturel qui a fait que les peaux de bananes sous les pieds des teutons ont été de loin beaucoup plus nombreuses que les coups de main.

De nombreuses compagnies performantes dans le monde sont dirigées par des étrangers. Dans le transport aérien, le Président de Emirates est le britannique Tim Clark. Il y a quelques années le redressement de Nissan, symbole de l’industrie automobile nippone, était confié au Franco-brésilien Carlos Ghosn. Mais culturellement, cela est inacceptable à Madagascar, surtout pour une société nationale. Le Malgache, toujours prompt à se considérer comme la huitième merveille du Monde (si ce n’est la première, relire ici l’article Auto-dérision), considérera comme une trahison de donner la direction de la Compagnie nationale à des étrangers, surtout si en plus ils sont payés à 40.000 dollars par mois. Nationalisme + jalousie = incapacité à tirer profit de compétences étrangères. Donc fondement pour futurs problèmes.

Incapacité à s’adapter à la mondialisation

Mais Air Madagascar paye également son incapacité notoire à s’adapter à la mondialisation dans d’autres domaines. Les tarifs de location d’avion, les primes d’assurance, le coût du kérosène, mais aussi les normes de sécurité et de qualité font que le transport aérien est une activité qui doit obligatoirement compter avec la mondialisation. Or Air Madagascar est-elle prête ? Rien n’est moins sûr.

Le personnel de Air Madagascar a été habitué à une mentalité de rentier : sans être fonctionnaires, beaucoup en ont l’esprit. De plus, ils ont été éduqués à vivre en vase clos : sous prétexte de polyvalence, les cadres ont été formés à occuper tous les postes. Ils en savent donc un peu sur tout, mais dans les domaines de gestion qui le nécessitent (marketing, finances, nouvelles technologies), il n’y a aucune expertise pointue. La capacité d’innovation de la Compagnie est donc semble-t-il très limitée. Or, se développer implique idées neuves, hommes nouveaux, technologies nouvelles. Par exemple, qu’est-ce que cette folklorique carte de fidélité Namako en bois, à l’heure où le monde entier fonctionne en carte à puce ?

Dans le cadre de la préparation de cet article, nous avons discuté avec une quinzaine d’employés (actuels et retraités) de la Compagnie, pendant deux semaines. Tous ont pointé du doigt le cloisonnement du personnel en groupes, ce qui nuit à la synergie d’ensemble : Tana vs. Ivato ; navigants vs. personnel au sol ; pilotes vs tout le monde ; Tana vs province ; nouveaux vs. anciens etc… A ceci s’ajoute que la tradition depuis les années 1990 a fait que le Directeur général était issu des rangs du personnel, ce qui a favorisé les travaux de couloir et les réseautages pour arriver « au pouvoir », puis pour s’y maintenir. Les cadres supérieurs qui avaient « des ambitions » ont donc créé leurs clans, avec ce que cela suppose d’inimitiés attisées et de méfiance travaillée au sein du personnel. Et dans ce contexte, les Allemands de Lufthansa qui ont été parachutés par Ravalomanana se sont donc retrouvés seuls contre tous. Il y a quelques jours, les luttes d’influence ont repris de plus belle pour la nomination du DG, même si un ingénieur titulaire d’un MBA et grand ami de Rolland Ranjatoelina serait le favori.

Corporatisme de mauvais aloi

Avec cet environnement externe et interne, Air Madagascar n’a pas été armée pour affronter efficacement la concurrence. Son personnel vit avec ses lauriers, et comme des adeptes de la méthode Coué, n’arrête pas de répéter à ses interlocuteurs que son service est meilleur que chez les autres. Cela était peut être vrai durant la seconde moitié des années 80, au temps où Rasata-Rainiketamanga était DG. Or, le service d’Air Madagascar a perdu beaucoup de sa superbe. Manque de rigueur, de professionnalisme et de conscience entrainent retards, bagages perdus, toilettes de temps à autre hors service, jeunes hôtesses et stewards qui commencent à répondre à la moindre demande comme un dérangement que le client leur impose. À comparer avec la modernité des avions de la concurrence, la ponctualité, la pertinence du programme de fidélisation ou la qualité des divertissements à bord, Air Madagascar devrait sérieusement se demander si ses lauriers ne sont pas un peu fanés. Aussi, c’est bien facile de dire que la faillite qui risque de se produire est de la faute de Ravalomanana ou des Allemands (qui ont certainement une bonne part de responsabilité), mais sont-ils les seuls ? Après le limogeage de Lufthansa, la première chose que le dirigeant intérimaire malgache a fait a été de se faire acheter une Touareg comme véhicule de fonction. Selon les employés qui nous l’ont révélé, les Allemands ont roulé des années dans une vieille 405 avant d’acheter une Isuzu bas de gamme.

La force des syndicats créée également un corporatisme de mauvais aloi, qui fait que Air Madagascar est difficilement manœuvrable. Sans doute le fait que jamais les crises économiques ou politiques n’ont eu d’impact sur la vie du personnel (salaires impayés ou licenciement) n’a pas permis aux employés de comprendre qu’il y a des actes qui se paient un jour. Exemple-type : le problème des abus des fameux passagers GP, qui ont toujours existé depuis les années 80 vers la Réunion, puis vers Singapour et Bangkok. Aucun Directeur général n’a réussi à gérer le phénomène et chacun s’est heurté à la cohésion du personnel, toujours solidaire quand il s’agit de contrer la direction, même pour des motifs fallacieux. Le seul dirigeant qui a apparemment osé s’y attaquer a subi des manœuvres internes tellement puissantes qu’elles ont abouti à son limogeage quelques mois après. Autre exemple : les syndicats ont réussi à s’opposer au plan social sur 300 postes, qui avaient été jugés superflus par la Direction générale. Et au moment où la Compagnie avait besoin de montrer un visage stable et rassurant pour ses partenaires, le personnel a choisi de profiter de la crise politique pour exiger et obtenir le départ de son Directeur général Klaus Oschlies.

Air Madagascar et ses 1.400 employés méritent une nouvelle chance. Il serait impensable de penser qu’elle disparaisse du paysage. Il y a en son sein des personnalités formidables, dont la passion et la compétence pour leur métier ne peuvent souffrir d’aucune discussion. Espérons donc qu’une solution soit trouvée pour sauvegarder la Compagnie. Cependant, pour que cette solution soit viable, il faut que l’Etat arrive à trancher une bonne fois pour toutes si Air Madagascar doit être une compagnie nationale (avec un rôle d’outil politique), ou bien une compagnie commerciale dont le profit est le seul objectif.

Quant au personnel de la Compagnie, il a passé les 7 dernières années à rechercher et préparer l’après-Lufthansa. Manque de participation, absence d’esprit d’équipe, coups bas, conflits internes, guéguerres intestines à coup de grèves sous divers prétextes, mauvais esprit de collaboration : le résultat est là. Aujourd’hui, ce sont les mêmes employés malgaches qui risquent de se retrouver sur le carreau. La situation illustre le dicton Malgache qui dit « Mandrora mantsilany » (cracher en étant allongé, cela ne peut que retomber sur vous). Mais, au vu de la crise politique actuelle, n’est-ce pas devenu une spécificité malgache ? Air Madagascar en cessation de paiement, c’est un peu le reflet du pays qui est en faillite.

30 commentaires

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