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Editorial

Pôlitìka Harabia

jeudi 8 juillet 2010 | Andriantsolo G.

Utiliser une belle langue était un souci dans notre ancienne société. Des pratiques comme les virelangues, le verlan – ou vers-l’en – (teny mifotitra), la langue fourrée (teny asiana) et la langue ajoutée (teny ampiana), apprenaient aux enfants la bonne prononciation et ce que j’oserai appeler l’orthographe du malgache oral en contrariant l’érosion de la langue. Dans l’institution scolaire apparut un type de parler dénommé teny arabìa ou teny harabìa, où, partant de l’alphabet, les jeunes collégiens permutaient les consonnes selon le code suivant :

b z f t h r k n
d v g s j p l m

Le b devenait z et inversement, etc. Ainsi, selon ce code, teny arabia se disait-il feky ahazia. Un tel code inadapté à la langue malgache ignorait la réalisation des prénasalisées et celle des trois affriquées, les ts /c/, tr /tr/ et dr /dr/. Les jeunes du collège protestant d’Ambatonakanga à Tananarive, comme Odeam Rakoto, le pratiquaient aux alentours des années 1930.

Qu’Odeam Rakoto soit devenu un homme de théâtre complet de l’écriture à l’interprétation, n’interdit pas de penser que le teny harabia est à mettre au nombre de ces développements modernes qu’engendre le contact avec l’Europe et qui aboutissent à des exercices de haute voltige purement gratuits sans autre profit pour les hommes et leur culture que l’obtention d’une « distinction » par ceux qui se trouvent sur le lieu stratégique du contact. À la différence des virelangues, des paroles fourrées et des verlans traditionnels, le teny harabia, langue secrète distinguant de leur milieu ceux qui sont allés à l’école, ne contribue pas à apprendre à bien parler le malgache.

On doit aussi se demander si la politique à Madagascar n’est pas une pôlitìka harabia, un de ces développements modernes qui bénéficient à quelques privilégiés et non au grand nombre dont ils sont censés s’occuper. Les fêtes du Cinquantenaire nous donnent l’occasion d’étudier la question.

Parmi les festivités, on le sait, on a pu distinguer celles qu’organisa la Hat et celles qu’organisèrent les Forces armées.

Le mercredi 23 juin, devait être inaugurée au rond-point d’Anosy une stèle érigée par la Hat pour le Cinquantenaire des Forces Armées. Le détail de ce petit événement permet de mieux comprendre les problèmes malgaches. Au petit matin, colonels et généraux du protocole étaient à Anosy pour organiser l’inauguration. Pour rendre les honneurs au chef de l’État, la circulation ayant été interdite, les cinq régiments et la musique militaire furent donc disposés. C’est alors qu’intervint l’imprévisible et l’irréparable : la stèle s’écroula. Ce qui est important, ce ne sont pas les premiers commentaires des officiers supérieurs et généraux qui affirmèrent que les services du Génie militaire auraient été capables d’ériger une telle stèle qui aurait été solide, mais que les procédures techniques et financières de la Transition montraient leur inefficacité. Ce qui est important chez ces officiers qui ont fait Saint-Cyr et l’École de Guerre, ce sont les autres commentaires qui constatèrent que la Transition n’avait pas fait l’indispensable joro – sacrifice à Zanahary et aux ancêtres – ni accompli les rituels traditionnels. Dans les faits politiques les plus prosaïques, le caractère sacré du pouvoir qui n’a rien de républicain, reste continuellement présent dans notre actualité avec le désir profond d’un retour, de quasi retrouvailles devrais-je dire, avec un système politique malgache respectueux des valeurs que les ancêtres avaient défendues et illustrées.

Dans ce qui caractérise la pôlitìka harabia, il faut voir l’absence d’unité des manifestations présentées au public et un logo du cinquantenaire que les militaires ont refusé d’adopter, se satisfaisant du logo que l’armée utilise communément.

Mises au régime sec – contre les quatre à cinq milliards de Fmg dont elle disposait habituellement pour les fêtes de l’Indépendance, les forces armées n’avaient reçu cette année que huit cent millions de francs –, elles ne purent organiser la grande kermesse à laquelle elles avaient songé et se décidèrent à faire une opération Portes ouvertes qui reçut une belle affluence pendant trois jours. Elles y ont montré au public comment elles assuraient les missions qui lui sont confiées. Elles voulaient restaurer une unité de l’armée bien mise à mal depuis un an et demi. Et retrouver leur fierté d’être au service de la nation. Elles ont aussi organisé le grand défilé qui a attiré lui aussi un grand public. Elles furent obligées d’ouvrir plus largement que prévu le stade de Mahamasina, tant l’affluence fut nombreuse. On y vit des command-car qui ressemblaient à des Hummer mais qui avaient été montés en Chine. Et la gendarmerie avait reçu de nouveaux véhicules Renault-Nissan, peut-être le voan-dalàna de quelqu’un qui revenait d’Europe. Des spectateurs y virent un signe évident des effets actuels de la mondialisation.

Puis était prévu à 14 heures 30 un « coquetèle dînatoire » à Iavoloha. Les invités arrivèrent dans cette belle et grande salle que Ravalomanana a fait construire. Le sol y est de marbre malgache fait par Magrama, alors que la Hat de Joelina préfère du marbre chinois pour le parvis de l’Hôtel de Ville sur la place du 13 Mai. Geste diplomatique d’Ambohitsorohitra ou procédure financière sans transparence des crocodiles du même lieu ? Je ne sais et n’oserai pas me prononcer.

14 heurs 30 arriva. Le gamin n’était pas là. Nul ne s’en étonna tant est admis le pli du retard obligé dans le nouveau protocole radzouëlien. Enfin, le gamin vint réciter en français et en malgache le petit laïus de moins de dix minutes qu’on lui avait appris. Il faut dire qu’Ambohitsorohitra a connu ces temps dernier un grand chamboulement sans communiqué ni conférence de presse : le triumvirat politique qui maternait le plus jeune président non élu de la terre, a été écarté. Disparaissent donc Astérix et Zazah. Quant à Annick, elle a été remplacée par Rolly Mercia, le rédac-chef de La Vérité ; et occupe on ne sait quel poste mais toujours à la Hat. On n’a pas aperçu les deux premiers. S’ils étaient là, du moins n’étaient-ils ni parmi les Véhipés des Véhipés, ni parmi les simples Véhipés. Il n’y avait pas non plus beaucoup de militaires.

Depuis que les invitations avaient été lancées, le coquetèle dînatoire était devenu un repas assis. Les invités tardaient à prendre place. La maîtresse de cérémonie fut obligée de lancer trois rappels mais suffisamment espacés pour laisser aux retardataires le temps d’arriver. Quand enfin, vers cinq heures, il fut décidé de servir les repas et que chacun put voir que de nombreuses places assises étaient inoccupées, un invité estima, à vue de nez comme les chiens attrapent les puces, qu’au moins le quart de invités n’étaient pas venus.

De la meilleure source, j’ai ensuite appris que pour cette belle et grande salle où l’on peut inviter cinq mille personnes, seules deux mille sept cents invitations avaient été lancées. Et que des deux mille sept cents couverts commandés au Colbert, seuls quinze cents à dix-sept cents repas avaient été servis. Dans cette masse d’invités choisis sans doute pour le soutien dont Ambohitsorohitra pense qu’ils le lui accordent, un bon millier, soit un grand et bon tiers, avaient fait défection et avaient fait la moue devant le repas gastronomique préparé par le Colbert. Et ce n’est pas la réputation de cet établissement qui les avait fait fuir. Sans doute est-ce une des conclusions qu’ils ont tirées de l’expérience de la pôlitìka arabia que la Hat dans son ensemble ne sait même pas gérer depuis le temps qu’elle est aux affaires de ce qui reste de l’État. Et aux cours du repas, ceux qui étaient venus et avec lesquels mon correspondant a conversé, ne se sont pas privés d’énoncer des jugements définitifs sur cette gestion arabia catastrophique.

Une des lois de la pôlitìka harabia, c’est le Samy mandeha, samy mitady – chacun fait ce qu’il veut… – et l’on ne peut prévoir de quoi demain sera fait, ni si arrivera ce qu’on est en droit d’attendre. La pôlitìka harabia, c’est le règne de la précarité et de l’incertitude au nom d’une prétendue volonté du vahoaka.

7 commentaires

Vos commentaires

  • 8 juillet 2010 à 10:46 | LE VEILLEUR alias L’EVEILLEUR (#1331)

    C’est un fait. Les faits sont têtus.

    La politique spéctacle est-elle de la politique ?

    Une démocratie d’opinion est-elle de la démocratie ?

    Une armée divisée est-elle bien armée pour accomplir sa mission ?

    Une vérité partiale est-elle toiujours la Vérité ?

  • 8 juillet 2010 à 10:54 | observatrice (#2065)

    merci de nous avoir rappelé cette langue harabia que nous avons bien connue dans notre enfance . Autant ce parler nous amusait alors, autant la politique harabia actuelle ne fait plus rire personne , ou alors nous fait rire jaune parfois !!

  • 8 juillet 2010 à 11:04 | Citoyenne Malgache (#599)

    Pôlitika harabia ou politique charabia...

    une stèle qui s’écroule...

    des invités qui ne répondent pas aux invitations...

    des « vieux amis » qui sont reniés... (ou les rats quittent-ils le navire ?)

    ... quelle belle image nous offre la HAT pour une fête qui devrait être si mémorable.

    Et malgré l’affluence observée, ces festivités du cinquantenaire n’ont pas obtenu l’adhésion de la population. Car pour un anniversaire aussi symbolique, l’animation aurait embrasé la ville et pas seulement au niveau des points où il faut s’amuser.

    PS : Merci Andriantsolo pour ce récit agréable à lire.

    • 8 juillet 2010 à 11:25 | mpitily (#1212) répond à Citoyenne Malgache

      et revoilà la désinformation des GTT, vous êtes vraiment éhontés ! Encore heureux que vous n’ayez pas écrit que le peuple était venu en masse aux manifestations organisées par les 3 mouvances. pffffffffffff

  • 8 juillet 2010 à 11:27 | kakilay (#2022)

    Merci pour le « rendu » !

    On aurait aimé que nos quotidiens rivalisent dans ce style, « pour » et « contre », pour nous faire vivre l’ambiance d’un événement... Quand la presse écrite montre son savoir-faire face à l’audio-visuel : l’essentiel est invisible pour les yeux.

    Pour donner donc un peu plus de place au journaliste, à sa subjectivité... irrecevable sans l’objectif de l’objectivité... qui fait qu’un journaliste n’est jamais l’égal d’un autre...

    Faire un topo de quinze lignes, pour l’essentiel : mon dieu que le monde est pauvre !

    Merci encore...

  • 8 juillet 2010 à 16:10 | da fily (#2745)

    Il y a surtout beaucoup de charabia dans le discours politique. Se réjouir de la dissolution du cartel des bouchers, une fois que l’équarrissage a été consciencieusement fait, n’apporte qu’amertume au final. J’essaie d’entrevoir une issue honorable pour ce pays et sa laborieuse population écrasée par toute cette misérable tragédie, je ne vois pas de lueur.

  • 9 juillet 2010 à 16:30 | Lucie (#101)

    - 1)Le « teny harabia » répond à une nécessité

    Devant l’excès d’encadrement ou son absence , le citoyen lambda exerce sa liberté d’expression en s’inventant un nouveau langage qui correspond mieux à son ressenti . Il s’approprie ainsi son quotidien . Au moins celà a-t-il un sens profond qui le fait avancer .
    Dans la « pôlitika harabia » telle que vous la décrivez , plus rien ne correspond à rien . Les repères ont été effacés , les limites franchies : qui est quoi, qui fait quoi , qu’est-ce-qu’on fait là ?

    - 2) La « pôlitika harabia » ou le « grand n’importe quoi » institutionnalisé

    Des dirigeants déconnectés et peu soucieux des réalités vécues par leurs administrés , une société qui implose dans la misère et l’indifférence générale … c’est sans doute grâce à la sagesse et à la modération (fatalisme ?) héritées de leurs Ancêtres que les malagasy doivent de ne pas avoir encore basculé dans l’anarchie ,la violence et le chaos . Mais c’est aussi à cause de cette sagesse et de cette modération légendaires qu’à Madagascar , n’importe quel aventurier sans scrupules peut s’arroger le titre de chef .

    - 3)Pour les citoyens : il faut « reprendre la main »

    Ne rien attendre des politiques qui prétendent être nos « Ray aman-dReny » , s’affranchir de ceux qui nous « veulent du bien » et tracer notre propre sillon ,nos propres réseaux informels . Dans nos familles, nos quartiers,nos villages,nos villes,nos régions .

    L’organisation d’une société civile vivante,forte,solidaire est la seule issue envisageable d’une situation dramatique,
    rocambolesque , ridicule qui fait de Madagascar la risée du monde .

    Pour nous les malagasy : c’est un exercice difficile , car devenir enfin adultes en « tuant nos pères » virtuellement … (père dans le sens = autorités ,institutions) relève du « mamoa fady » .

    Cependant , comment pourrions-nous survivre autrement qu’en grandissant ?

    *bravo pour cet article plaisant qui donne une perspective originale et incite à la réflexion .

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