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lundi 1er décembre 2025
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Non, Madagascar n’est pas plus pauvre que le Mozambique et la Somalie, ou le nécessaire rebasage du PIB

lundi 1er décembre |  158 visites 

La présence récurrente de Madagascar aux toutes dernières places du continent en matière de richesse par habitant, s’explique en réalité par l’absence, quasi unique en Afrique, de rebasage récent du PIB. Cette mise à jour est pourtant nécessaire à l’élaboration de toute politique de développement adaptée et efficace, qui ne peut se faire sans une connaissance préalable de l’état réel de l’économie et des flux financiers en circulation, et qui permettra au pays d’exploiter enfin son grand potentiel.

Certes, Madagascar fait incontestablement partie des pays les plus pauvres du continent. Certes, la Grande île n’est plus ce qu’elle était dans les années 1960, lorsqu’elle comptait parmi les pays les plus prometteurs du continent, avant de connaître, après la révolution de 1972, deux décennies d’une expérience socialo-communiste, pilotée par les nouveaux maîtres du pays et la Russie (que l’on appelait autrefois URSS) et qui transforma Madagascar en l’un des pays les plus pauvres du continent.

Une descente aux enfers, suivie par trois décennies marquées par des politiques économiques souvent ultralibérales, passant ainsi d’un extrême à l’autre (en réduisant au strict minimum le rôle joué par l’État dans bien des domaines, dans un pays manquant cruellement d’infrastructures et de services publics), et par d’incroyables niveaux de corruption et de détournements de fonds. Aujourd’hui, le pays est tombé si bas que d’importantes entreprises publiques continuent, pour différentes raisons, à être gérées par des personnes étrangères, ou du moins non africaines, 65 ans après l’indépendance. Chose unique en Afrique francophone…

Un pays très pauvre, mais pas autant qu’on le prétend…

Ainsi, et selon les dernières données du FMI relatives à l’année 2024, Madagascar affiche officiellement un PIB par habitant de seulement 569 dollars, plaçant le pays au 50e rang continental sur un total de 54 pays, soit parmi les tous derniers du classement. Et ce, très loin derrière la Côte d’Ivoire, pays le plus prospère d’Afrique de l’Ouest continentale avec un niveau de 2 723 dollars par habitant (et qui était presque au même niveau que Madagascar en 1960), le Cameroun (1 868 dollars, qui était derrière la Grande île en 1960), le Sénégal (1 759 dollars), ou encore le Kenya (2 305), pays ayant le PIB par habitant le plus élevé d’Afrique de l’Est continentale, hors Djibouti, et que Madagascar devançait également il y a quelques décennies.

Cependant, et selon les mêmes données officielles, Madagascar est également dépassée par des pays comme la Somalie et le Soudan, qui connaissent une situation chaotique et affichent, malgré tout, des niveaux de richesse supérieurs, à savoir de 737 et 594 dollars par habitant, respectivement. Pourtant, et sans même tenir compte du drame humanitaire et sécuritaire qui touche ces deux pays, toute analyse sérieuse de leur niveau de développement économique indique clairement qu’ils ne sont nullement mieux lotis que la Grande île, qui dispose, par exemple, d’un niveau d’industrialisation largement supérieur. En effet, et selon le dernier classement publié en 2022 par la Banque africaine de développement (BAD), Madagascar se classait à la 28e place continentale, bien devant le Soudan qui occupait déjà le 41e rang avant même le début de la terrible guerre civile qui le ravage actuellement (ayant déjà fait plus de 150 000 morts en seulement deux ans et demi, mettant presque à l’arrêt l’économie du pays, qui est par ailleurs, et de loin, le pays africain le plus endetté, avec un niveau de dette publique oscillant autour de 250 % du PIB !). Quant à la Somalie, où l’État central ne contrôle qu’une petite partie du territoire, le niveau de sous-développement est tel qu’elle ne figure même pas dans le classement… (comme dans bien d’autres domaines, et souvent avec le Soudan du Sud, également anglophone).

Ce paradoxe résulte simplement du fait que Madagascar est presque le seul de tous les pays d’Afrique de l’Est bordés par l’Océan Indien (avec les Comores), et un des très rares pays de l’ensemble du continent africain, à ne pas avoir réalisé de rebasage récent du PIB national (une quasi exception, qu’elle partage notamment avec la RDC, dont le prochain rebasage propulsera d’ailleurs le pays à la troisième ou quatrième place en Afrique subsaharienne en matière de PIB nominal). En effet, et alors que la plupart des pays du continent effectuent cette opération tous les cinq à dix ans, Madagascar continue à s’appuyer sur l’année 2007 comme année de référence pour le calcul de son PIB. Une base désormais obsolète, et une différence notable avec l’écrasante majorité des pays du continent, et notamment avec la Somalie qui se sert de l’année 2022 comme base de calcul (soit un écart de 15 ans par rapport à Madagascar, malgré l’instabilité chronique du pays !).

Ainsi, un rebasage du PIB malgache modifiera considérablement les données officielles actuelles, en augmentant significativement sa taille. Et ce, comme ce fut le cas pour tous les autres pays ayant effectué un rebasage tardif de leur PIB, à l’instar de la Guinée où il a soudainement augmenté de 51 % en octobre dernier (en passant de 2006 à 2018 comme année de référence), ou encore du Nigeria, qui vit son PIB croître brusquement de 89 % en 2014, en utilisant l’année 2010 comme année de référence, au lieu de 1990.

L’importance du rebasage du PIB pour Madagascar

La mise à jour de la méthode de calcul du PIB malgache entraînera donc une hausse très importante du niveau officiel de la richesse créée par le pays, qui devrait augmenter au moins de moitié, voire presque doubler. Par conséquent, cela correspondra à un PIB par habitant se situant probablement entre 850 et 1 100 dollars pour la Grande île, la faisant ainsi quasi certainement quitter la liste des dix pays les plus pauvres du continent. En effet, cette mise à jour permettra à Madagascar de dépasser non moins de cinq à quinze pays, et notamment, sans le moindre doute, le Mozambique voisin qui affiche un PIB par habitant de seulement 653 dollars, malgré le fait d’avoir l’année 2019 comme base de calcul. Ce pays, qui avait connu une terrible guerre civile de 15 ans, ayant fait près d’un million de morts entre 1977 et 1992, est d’ailleurs déjà dépassé par Madagascar dans un certain nombre de domaines, comme en matière d’industrialisation (classé 30e par la BAD), ou encore en matière d’électrification (avec un taux d’accès à l’électricité de 36,0 % en 2023, contre 39,4 % selon les dernières données et les critères de la Banque mondiale).

Mais au-delà de cette évolution spectaculaire au niveau du classement, la mise à jour des données relatives au PIB malgache est d’autant plus importance pour le pays qu’elle est nécessaire à l’élaboration de toute politique de développement cohérente et efficace. En effet, la mise en œuvre d’une politique de développement nécessite la connaissance préalable de la situation réelle de l’économie nationale, à travers l’identification précise et la prise en compte des différentes activités économiques et des flux financiers circulant dans le pays. Une connaissance qui est notamment nécessaire pour pouvoir établir une politique fiscale adaptée et déterminer les recettes potentielles de l’État. Par ailleurs, l’augmentation du PIB qui résultera de l’opération de rebasage, fera automatiquement baisser le niveau d’endettement du pays, ce qui est de nature à rassurer davantage les investisseurs et bailleurs de fonds étrangers, et à augmenter ainsi ses capacités de financement, tout en faisant parfois baisser les taux d’intérêt.

Madagascar devrait donc se doter des outils statistiques adaptés et nécessaires afin d’être en mesure d’établir une politique de développement efficace. Mais également, bien sûr, car cela lui permettra de quitter les toutes dernières et peu enviables places des classements continentaux en matière de richesse par habitant, où sa présence actuelle est purement artificielle. Cette mise à jour est d’ailleurs une opération assez peu coûteuse, et peut parfaitement être initiée dans le cadre d’une période de transition politique.

Un pays au grand potentiel, et exactement aussi peuplé que la Côte d’Ivoire…

La mise à disposition d’outils statistiques adéquats, favorisant l’émergence économique tant attendue du pays, est d’autant plus souhaitable que celui-ci dispose d’un formidable potentiel qu’il est encore très loin d’exploiter. Plus étendue que la France, elle-même plus grand pays d’Europe occidentale, la Grande île ne manque en effet pas d’atouts. Grâce à son climat et à ses nombreux fleuves, et en l’absence de déserts et de forêts équatoriales denses, rendant ainsi exploitable l’intégralité du territoire, la Grande île dispose d’un grand potentiel agricole et hydroélectrique. De plus, le pays possède un riche sous-sol, des paysages paradisiaques et une situation géographique stratégique dans l’Océan indien. Occasion de rappeler que Madagascar est le premier producteur mondial de vanille, deuxième épice la plus chère au monde (après le safran), ainsi que le premier producteur mondial de saphir et le troisième pour le graphite.

Le pays a donc parfaitement la capacité de devenir à moyen terme un des pays africains les plus dynamiques et les plus développés, voire de rivaliser avec la Côte d’Ivoire qui présente un certain nombre de points communs, et notamment un poids démographique identique (32 millions d’habitants chacun), un climat et une géographie favorables, et la présence de quantités significatives de richesses naturelles non renouvelables, sans pour autant être aussi importantes que celles des pays africains les mieux lotis en la matière. Pourtant, et alors que la Grande île était presque au même niveau que la Côte d’Ivoire en 1960, cette dernière est devenue l’un des pays les plus riches du continent, et s’impose désormais, et depuis déjà plus d’une décennie, comme l’économie africaine la plus dynamique et la plus solide.

En effet, le pays connait un rythme de croissance élevé, de plus de 6 % par an, et ce malgré un niveau de richesse déjà assez important, avec un PIB par habitant plus de deux fois supérieur à celui de l’Éthiopie (1 310 dollars), ou encore 2,6 fois supérieur à celui du Rwanda. Un pays ami du président malgache déchu, Andry Rajoelina, et qui demeure un des pays les plus pauvres du continent (se classant à la 37e place en la matière, avec un PIB par habitant de 1 028 dollars, tout en se distinguant tristement par le pillage illégal des richesses de la RDC voisine, qui représentent désormais près de la moitié des exportations rwandaises. Un cas unique au monde et une terrible injustice, accompagnés de massacres réguliers de populations civiles congolaises, et rendus uniquement possibles par le féroce soutien des États-Unis et l’indifférence de la plupart des pays africains…).

Ainsi, la Côte d’Ivoire a connu une progression annuelle de son PIB de 6,1 % en moyenne sur la décennie 2015-2024, soit un niveau clairement supérieur à celui de pays comme le Kenya (4,6 %), le Nigeria (1,7 % seulement, et qui affiche le troisième plus faible niveau d’espérance de vie au monde, selon la Banque mondiale), ou encore l’Afrique du Sud et l’Angola, qui ont enregistré une croissance annuelle quasi nulle (respectivement 0,7 % et 0,6 %). Deux pays qui, comme le Nigeria, ne sont donc absolument pas des pays émergents, compte tenu de leur très faible niveau de croissance, de surcroît souvent inférieur à leur taux de croissance démographique (contrairement à ce que l’on entend souvent, et à l’inverse du Sénégal, du Bénin ou de la RDC…).

Grâce à son dynamisme, la Côte d’Ivoire est ainsi devenue l’un des pays africains les plus riches, en réussissant notamment l’exploit de dépasser le Ghana, le Nigeria et l’Angola, malgré leur écrasante supériorité en matière de richesses naturelles non renouvelables, même proportionnellement à la population. En effet, et avec un PIB par habitant de 2 723 dollars en 2024, elle dépasse le Ghana (2 406 dollars) qui a produit 4,6 fois plus de pétrole et 2,4 fois plus d’or la même année, pour une population presque égale. De même, elle dépasse très largement le Nigeria (1 084 dollars seulement) qui a extrait 37 fois plus d’or noir (environ 1,34 million de barils par jour, contre seulement 37 000 !).

Quant à l’Angola, la Côte d’Ivoire l’aurait déjà dépassé en 2024 selon la Banque mondiale (et devrait le faire en 2025 selon le FMI), alors que ce pays, qui compte une population également comparable, a produit 31 fois plus de pétrole en 2024, tout en étant le quatrième producteur mondial de diamants ! Par ailleurs, elle vient également de devancer la Tanzanie en matière de PIB nominal, malgré une population deux fois inférieure (comme Madagascar). Enfin, le dynamisme économique de la Côte d’Ivoire s’illustre également par la construction en cours de la plus haute tour d’Afrique, qui devrait être achevée en 2026 et culminer à une hauteur de non moins de 404 mètres, antenne incluse (dépassant également tous les gratte-ciels d’Afrique, du monde francophone, et de l’Union européenne).

Par ailleurs, et pour revenir à Madagascar, il convient de noter que la Côte d’Ivoire fait désormais partie des pays africains les moins touchés par la corruption, se classant à la 69e place mondiale dans le dernier classement international en la matière (l’Indice de perception de la corruption 2024, publié par l’organisme Transparency international). Le pays se place ainsi au même niveau que le Sénégal et le Bénin (69e également), fait même mieux que deux pays membres de l’Union européenne, et devance surtout et de très loin des pays comme le Kenya (121e), le Nigeria (140e) et… Madagascar, classé également la 140e place mondiale.

Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)
ww.cermf.org
info@cermf.org

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