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Tribune libre

Main basse sur la forêt

vendredi 28 mai 2010

Cinquantenaire des indépendances africaines/Madagascar. La crise politique favorise le pillage des bois précieux de la Grande Ile, déjà frappée par une déforestation galopante.

La victoire des « Crazy’s », comme ils se sont plaisamment baptisés, tient en une phrase. Article 2 du décret 2010-141 : « Dorénavant, l’exploitation, la coupe, le transport, la commercialisation et l’exportation de bois de rose et de bois d’ébène sont interdits ». Le texte, signé le 24 mars par le
Premier ministre malgache Camille Vital, n’a pas encore été publié, mais il vient de faire l’objet d’une note d’application ministérielle.

L’aboutissement - fragile - de longs mois de combat pour une poignée d’activistes, Malgaches et Vazaha [1] mêlés, qui ont résolu de s’opposer au pillage des bois précieux dans les forêts protégées du nord-est de Madagascar.

Cette activité, ancienne, connaît des pics périodiques depuis dix ans ; mais la désorganisation des services de l’État liée à la crise politique qui secoue l’île l¹a fait exploser à partir du printemps 2009. Le trafic concerne essentiellement le bois de rose, une variété de palissandre au cœur d’un rouge intense, deux fois plus dense que le chêne et d¹une dureté extrême. L’« or rouge » extrait des sanctuaires forestiers de Madagascar est pour sa presque totalité expédié en Chine, où il est transformé en mobilier haut de gamme, dont une partie repart pour les États-Unis ou l¹Allemagne. Ce système ne produit pratiquement pas de retombées pour la région productrice, sinon un saccage environnemental ; seuls une petite caste de gros opérateurs s’enrichissent à bon compte en profitant des failles de la réglementation et de la complaisance des autorités. Un scandale que quelques amoureux de cette contrée reculée, où subsistent les derniers grands massifs de la forêt primaire qui couvrait jadis la Grande Ile, ont entrepris de dénoncer. Notamment par le biais d¹un court document, nommant les principaux trafiquants et chiffrant leurs juteux bénéfices, qui a connu une large diffusion.

« A ma connaissance, c’est la première fois qu’une bande d’éco-citoyens sans moyens, sinon un ordinateur et l’accès à internet, stoppe un business de 220 millions de dollars », résume l’un d’eux, qui protège son anonymat comme un secret d’État, et que l’on rencontre au terme d’un pittoresque jeu de piste menant à la ville côtière de Sambava, épicentre du trafic de bois de rose. Dans les rangs des Crazy’s, on trouve ainsi des « locaux » qui vivent dans le triangle d’or des bolabola (billes de bois précieux) et disent risquer leur vie si leur identité est dévoilée ; d’autres, étrangers ne résidant pas à l’année dans le nord-est malgache, agissent à visage découvert : ce sont pour la plupart des scientifiques, anthropologue, ornithologue, botaniste, qui se sont pris de passion pour la faune et la flore uniques peuplant les deux parcs nationaux de la région, Marojejy et Masoala.

« Plus les gens sont pauvres, plus ils iront taper dans la forêt »

Pourquoi ce folklore ? Parce que les maquisards du bois de rose disent s’attaquer à un adversaire surpuissant et multiforme, alliant des « barons du bois » sans scrupules, leurs collecteurs aux allures de gangsters, des agents de l’État corrompus et, excusez du peu, la mafia de Hong Kong. « Le plus gros trafiquant d’Antahala [2] a déjà ramassé 15 millions de dollars, estime l’un des éco-guerriers. Quel ministre, quel haut fonctionnaire peut résister au quart de cette somme ? ». « De temps en temps, un négociant va en prison. Mais invariablement, il ressort une semaine après », constate Ndranto Razakamanarina, président de l¹Alliance Voahary Gasy, plateforme des organisations environnementales malgaches. Cet ancien conseiller de l’ex-président Marc Ravalomanana a participé à la création d’une task force censée lutter contre le trafic. Dans le nord-est, elle a été rebaptisée « taxe force », la plupart de ses agents étant davantage occupés à prélever leur dîme qu’à sanctionner les trafiquants pris sur le fait.

Ndranto, lui, faisait partie des rares incorruptibles. Il a démissionné de la présidence, en août 2008, après un épisode qui a montré que l’ancien régime prenait aussi sa part dans le commerce : « Tous les bois précieux saisis dans le pays depuis deux ans, soit 2.400 m3, ont été vendus par adjudication. Un Chinois a tout acheté. Je lui ai expliqué que, selon la loi, il devait installer une manufacture pour transformer le bois en produit fini avant de l’exporter. Deux semaines après, il a obtenu une autorisation d’exportation exceptionnelle pour son bois brut » ; Ndranto ne le dit pas explicitement, mais il ne doute pas qu’un dessous de table a été versé dans l’entourage immédiat du président.

Le nord-est est la nouvelle ligne de front d’un pays dont les forêts, pourtant l’une de ses principales richesses, sont en train de disparaître. Sur toute l’île, l’usage intensif de pratiques traditionnelles, culture sur brûlis ou charbonnage, allié à la pression démographique, fait des ravages. « Plus les gens sont pauvres, plus ils iront taper dans la forêt », résume Serge Rajaobelina, directeur de l¹ONG Fanamby. Or, beaucoup de Malgaches sont très pauvres. En moins d’un siècle, Madagascar a perdu plus des quatre cinquièmes de sa forêt primaire. Cette évolution crée de graves déséquilibres écologiques, entraîne glissements de terrain et ensablements de rizières.

Mais la coupe du bois de rose ajoute à ces dégâts une autre dimension. La région où il est exploité est devenue un Far West où font la loi ceux-là mêmes qui l’enfreignent. « Des émeutes ont été dirigées contre les services des eaux et forêts, des agents ont été molestés, des bureaux de forestiers ont été brûlés », raconte Guy Suzon Ramangason, directeur général de Madagascar National Parks. Plusieurs responsables affirment que des gens meurent en forêt, sous les balles des trafiquants ou en transportant les énormes troncs, une tâche d’une pénibilité et d’une dangerosité extrêmes. La fièvre du bois de rose broie tout sur son passage : la forêt, saccagée bien au-delà des seules zones de coupe, et ses habitants - y compris les lémuriens, dont des espèces menacées sont chassées pour nourrir les coupeurs clandestins.

Le cours de la vanille au plus bas

Olivier Pezet, directeur de l’Agence française de développement, a survolé le parc de Masoala et visité trois villages limitrophes début mars, en compagnie d’une délégation de bailleurs de fonds. Il en garde une impression rappelant les ruées minières : « Des villages de 50 habitants deviennent subitement des villes champignons de 1.000 personnes, avec de gros dégâts sociaux. Il y a des filles, de la violence, des tripots. »

Circonstance aggravante : le cours de la vanille, principale ressource traditionnelle de la région, est au plus bas depuis cinq ans. « Les paysans qui faisaient de la vanille se tournent vers le bois, constate Philippe Fontayne, patron français de Millot (cacao). On ne peut pas les blâmer : quand on se demande tous les jours ce qu’on va manger le soir, on se préoccupe moins de gestion durable de l’environnement. » Bien implanté dans la région, Philippe Fontayne a été mandaté pour défendre les intérêts du transporteur Delmas, filiale de la CMA CGM, dénoncé par les ONG comme complice objectif du trafic de bois de rose. « Delmas n’y est pas pour grand-chose, plaide-t-il. À partir du moment où les autorités du pays délivrent des autorisations d’exporter, il est difficile de refuser les demandes des opérateurs. »

Une position que les détracteurs de la compagnie maritime jugent « d’une hypocrisie sans nom » : ils soulignent que le régime de transition malgache n’est pas reconnu par la communauté internationale. Un rapport d’enquête de deux ONG, Global Witness et l’Environmental Investigation Agency (EIA), a d’autre part démontré fin novembre que les autorisations d’exportation de bois brut étaient contredites par d’autres dispositions réglementaires ou législatives, donc illégales. De notoriété publique, enfin, ces autorisations ne servent qu’à couvrir des opérations de blanchiment de stocks : certaines régularisations, censées permettre l’évacuation de bois « cycloné » (tombé après le passage d’un cyclone), portent ainsi sur des quantités hors de proportion avec ce motif officiel. « Les cyclones, ici, ça abat les bananiers et les papayers, les essences les plus fragiles, note un familier des forêts. Mais pas le bois de rose ! »

Chaque autorisation d’exportation donne en fait le signal d’une nouvelle ruée vers la forêt pour reconstituer les stocks qu’il faudra ensuite écouler. D’après des estimations concordantes, il resterait au bas mot 15.000 tonnes de bois de rose déjà abattu et entreposé, le plus souvent clandestinement, autour des parcs nationaux et sur la côte nord-est de Madagascar. Selon Ndranto Razakamanarina, fin mars, une semaine après la signature du décret d’interdiction totale, une grosse cargaison a été discrètement acheminée vers le grand port de Toamasina. Elle y attend sagement, dans des conteneurs, la prochaine occasion d¹embarquer vers la Chine.

Pierre-Laurent Mazars, envoyé spécial à Antananarivo, Sambava - Le Journal du Dimanche

Notes

[1Blancs étrangers.

[2quartier général de la plupart des négociants, ndlr

3 commentaires

Vos commentaires

  • 28 mai 2010 à 09:09 | jane d (#2353)

    Another article, excerpts from ‘Shaky Rule in Madagascar Threatens Trees’
    By BARRY BEARAK - The New York Times May 24, 2010

    MAROANSETRA, Madagascar — Exploiting a political crisis, Malagasy timber barons are robbing this island nation of its sylvan heritage, illegally cutting down scarce species of rosewood trees in poorly protected national parks and exporting most of the valuable logs to China.

    For a decade or more, this illicit trade existed on a small scale. But in the past year, it has increased at least 25-fold, according to environmental groups that have been tracking the outgoing shipments. They estimate the value of trees felled this past year at <br c67 million or more.

    This accelerated plunder of the rainforest coincided with a military coup in March 2009. Andry Rajoelina, the mayor of Antananarivo, Madagascar’s capital, was installed as president and he has since led a weakened and tottering government that is unable — and perhaps unwilling — to stop the trafficking....

    .... Repeatedly, the government has announced new policies to halt the trade. “The exporters are strong, but so are we,” Prime Minister Camille Vital said in a recent interview. “Just last week, we arrested 52 of the people involved.”

    But the men in custody, as the prime minister admitted, were among the hundreds of impoverished villagers who earn .50 a day to trek into the far reaches of the rainforest. Two men can chop down even a thick, sturdy rosewood tree in an hour. Then it requires teams of 15 or 30 or 50 to pull the logs through the muddy up-and-down of the vine-covered woodland.

    Last month, the government announced yet another decree to protect the affected forests of the northeast. The area includes two huge World Heritage sites : Marojejy National Park, where the rainforest descends into valleys of dense evergreens and rises into rocky-crested mountains ; and Masoala National Park, on a broad peninsula where a high slope of virgin rainforest plunges to within feet of an unspoiled shore.

    But the American ambassador, R. Niels Marquardt, dismissed the new regulations as “one big loophole.” Lisa Gaylord, the country director for the Wildlife Conservation Society, said : “Whatever the law, this government always finds a way to grant an exception.”....

    .... “The rosewood is piled up near the rivers ; no one is trying to hide anything,” said Guy Suzon Ramangason, the director general of the organization that manages many of the parks. “Chinese businessmen pay the exporters and they in turn pay off the controllers like the police and the government.”....

    .... Here in Maroantsetra, a dusty town not far from Masoala National Park, the evidence of the assault on the forest is an open secret easily shared along the Antenambalana River. Some 500 rosewood logs lay stacked behind a padlocked bamboo fence in a storage lot surrounded by fields of corn and manioc. The inquisitive were shooed away by five young guards who lolled in the shade of a litchi tree....

    .... But so much rosewood has been cut down that logging it gets harder by the month, villagers said. Now it can take two or three days to find a rosewood tree, even for men who have roamed the forest since childhood. They know how to open a trail with machetes and which plants have antiseptic powers.

    full article at : http://www.nytimes.com/2010/05/25/world/africa/25madagascar.html?scp=2&sq=rosewood&st=cse

  • 28 mai 2010 à 10:13 | kotondrasoa (#3872)

    During ra8’s presidency, the illicit trade of rosewood trees existed but it was not very important and now b/c there is no state and poverty is extreme, everybody do this trade.

    The law, the text edited by the prime minister is a big loophole, as Nils said and I think that 15.000 tons are lesser than the real cut.

    The government will sell these 15.000 tons b/c they need money and I doubt that China will export only iron.

    They’re present in Madagascar, they’ll stay and it’s not for the interest of Malagasy people.

    And Madagascar will becomme more red than green.

  • 28 mai 2010 à 10:40 | vuze (#918)

    - « Ndranto, lui, faisait partie des rares incorruptibles. Il a démissionné de la présidence, en août 2008, après un épisode qui a montré que l’ancien régime prenait aussi sa part dans le commerce : « Tous les bois précieux saisis dans le pays depuis deux ans, soit 2.400 m3, ont été vendus par adjudication. Un Chinois a tout acheté. Je lui ai expliqué que, selon la loi, il devait installer une manufacture pour transformer le bois en produit fini avant de l’exporter. Deux semaines après, il a obtenu une autorisation d’exportation exceptionnelle pour son bois brut » ; Ndranto ne le dit pas explicitement, mais il ne doute pas qu’un dessous de table a été versé dans l’entourage immédiat du président. »

    Zut alors, je suis déçu car on a toujours essayé de me convaincre que c’était la HAT qui était derrière ce trafic de bois !! Les détracteurs de TGV ont toujours utilisé cet argument pour vociférer leurs manipulations... Que vont-ils faire maintenant ?

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