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Tribune libre

International Crisis Group

Madagascar : sortir du cycle de crises

vendredi 19 mars 2010

Madagascar est en crise depuis les troubles sanglants qui l’ont secoué début 2009. Plusieurs mois de médiation sous l’égide de l’Union africaine (UA), entre autres, n’ont pas permis de débloquer la situation. Malgré la signature de plusieurs documents, et l’annonce de l’Union africaine de sanctions individuelles contre les membres du regime le 17 mars, les négociations n’ont pas abouti, principalement à cause du refus du gouvernement Rajoelina de mettre en œuvre le partage du pouvoir accepté à Maputo en août. Bien que la violence ait été contenue depuis qu’il a pris le pouvoir en mars 2009, la légitimité du régime est remise en question tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, alors qu’une situation économique difficile pèse lourdement sur une population déjà appauvrie. Pour éviter toute escalade, la médiation devrait cesser d’essayer de mettre en place une transition fondée sur un partage du pouvoir, et tenter plutôt d’obtenir un accord sur la rédaction consensuelle d’une nouvelle constitution et l’organisation rapide d’élections sous supervision internationale.

De janvier à mars 2009, Andry Rajoelina, alors maire de la capitale, Antananarivo, rassemble dans la rue plusieurs dizaines de milliers de personnes et exige la démission du gouvernement du président Marc Ravalomanana. Il forme une alliance de circonstance avec l’opposition politique et une partie de la société civile, et organise de grands rassemblements qui dégénèrent en pillages massifs, dans lesquels au moins 70 personnes perdent la vie. Rajoelina forme un gouvernement parallèle, la Haute autorité de la transition (HAT), et demande le 7 février à ses partisans de prendre le palais présidentiel. Les forces de sécurité ouvrent le feu sur la foule et font près de 30 morts.

Les tentatives de médiation des Eglises et des Nations unies (ONU) échouent alors que les deux protagonistes s’enfoncent dans une logique de provocation. Les manifestations se poursuivent, ponctuées d’arrestations ciblées et de répression par les forces de l’ordre, jusqu’à ce qu’un camp militaire se mutine et rallie Rajoelina. Acculé, Ravalomanana cède le pouvoir à un directoire militaire composé de trois généraux le 17 mars 2009, qui le transfère immédiatement au maire. L’Union africaine et d’autres condamnent cette prise de pouvoir anticonstitutionnelle.

Les accords de partage du pouvoir signés à Maputo en août et à Addis-Abeba en novembre représentaient une opportunité de mettre en place une transition consensuelle en réunissant au sein du gouvernement les quatre mouvances politiques représentées par Rajoelina, Ravalomanana, et deux anciens présidents, Didier Ratsiraka et Albert Zafy. Mais bien qu’il ait signé les accords, Rajoelina et son entourage ont depuis bloqué leur mise en place, pour conserver tous les postes importants, et menacé d’organiser des élections de manière unilatérale. Le manque de volonté politique de réaliser des compromis de la part de protagonistes qui semblent plus préoccupés par leur rente de situation que par une solution dans l’intérêt de la nation a rendu un authentique partage du pouvoir pratiquement impossible.

L’impasse de 2009 est la responsabilité d’une élite politique qui a constamment sapé la création d’institutions stables et démocratiques au profit de ses propres intérêts politiques et économiques. Ses pratiques sont également à l’origine des autres crises politiques (1972, 1991 et 2002) qui ont déstabilisé Madagascar depuis son indépendance. Ses membres sont chaque fois parvenus à préserver leurs réseaux de pouvoir, rendant inévitable l’apparition de nouvelles crises.

Une nouvelle constitution et des élections constituent la seule option réaliste pour sortir de ce cycle de crises à répétition. Madagascar a besoin de rétablir des institutions légitimes et d’initier des réformes administratives. La priorité de l’équipe de médiation devrait donc être la négociation d’un accord entre les quatre mouvances politiques, qui permettrait la rédaction rapide d’une nouvelle constitution, un référendum constitutionnel et la tenue d’élections libres et équitables, ainsi que la clarification des termes de l’amnistie décidée à Maputo.

L’organisation des élections ne peut pas reposer exclusivement sur la HAT. Les quatre mouvances devraient accepter que le référendum constitutionnel et les élections soient organisés et supervisés par une mission conjointe UA/ONU. Durant cette période, les activités de la HAT devraient être réduites à l’expédition des affaires courantes. Tout membre qui désirerait se présenter aux élections devrait d’abord démissionner. Andry Rajoelina pourrait, lui, garder ses fonctions jusqu’aux élections, auxquelles il pourrait se présenter, comme négocié à Maputo. Cela permettrait de répondre à la fois aux demandes de la HAT, qui insiste sur l’orga nisation rapide d’élections, et à celles des trois autres mouvances, qui veulent un contrôle impartial du processus électoral. Cela empêcherait également les disputes autour des postes ministériels et permettrait d’éviter une transition trop longue.

Pour que cette solution fonctionne, l’UA et l’ONU devraient nommer un envoyé spécial conjoint chargé de superviser l’élaboration d’une nouvelle constitution, ainsi que l’organisation d’un référendum constitutionnel et d’élections générales. Une mission de police UA/ONU devrait être mise en place et placée sous la responsabilité de l’envoyé spécial. Elle serait chargée de travailler en étroite collaboration avec les forces de sécurité malgaches pour sécuriser le processus électoral. La communauté internationale, déjà représentée dans le Groupe de contact, devrait rester impliquée, et son rôle de garant inscrit dans l’accord politique.

RECOMMANDATIONS

Aux mouvances malgaches :

1. Signer un accord politique qui autorise conjointement les Nations unies et l’Union africaine à :

    • a) superviser la rédaction d’une nouvelle constitution par un processus consensuel impliquant les mouvances malgaches et la société civile ;
    • b) organiser et superviser un référendum sur cette constitution et la tenue des élections ; et
    • c) déployer une mission de police pour travailler en collaboration avec la police nationale à la sécurisation des élections.

2. Accepter la nomination d’un envoyé spécial unique, mandaté conjointement par l’Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations unies, responsable des tâches susmentionnées.

A la Haute autorité de la transition (HAT) :

3. Eviter tout conflit d’intérêt potentiel en exigeant que ses membres qui souhaitent se présenter aux élections démissionnent d’abord de leurs fonctions.

4. Cesser toute activité législative et uniquement expédier les affaires courantes.

Au chef de l’équipe conjointe de médiation, Joaquim Chissano :

5. Collaborer étroitement avec l’envoyé spécial UA/ONU et intervenir en tant qu’autorité morale en cas de blocage du processus.

Aux Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et au Conseil de sécurité des Nations unies :

6. Nommer une personnalité africaine importante comme envoyé spécial conjoint responsable des tâches mentionnées à la recommandation 1.

7. Sécuriser le processus électoral en étroite collaboration avec la police nationale, en autorisant le déploiement d’une mission de police UA/ONU composée de petites unités opérationnelles intégrées aux forces de police malgaches et dirigée par un commissaire de police UA/ONU placé sous l’autorité directe de l’envoyé spécial.

8. Faire comprendre aux protagonistes que toute obstruction du processus serait suivie de sanctions ciblées (telles que le gel des avoirs ou l’interdiction de visa) touchant les individus et leurs familles.

A la France, les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Afrique du Sud :

9. Soutenir diplomatiquement et financièrement ce processus de paix (particulièrement la rédaction d’une constitution et l’organisation des élections), mais s’abstenir de tout autre soutien financier jusqu’à l’aboutissement du processus électoral.

10. Promouvoir un programme de réforme de l’armée, des programmes de réhabilitation de la fonction militaire et un plan social permettant aux hauts gradés et aux militaires du rang sans affectation de quitter l’armée avec dignité.

Nairobi/Bruxelles, 18 mars 2010

9 commentaires

Vos commentaires

  • 19 mars 2010 à 09:44 | mpitily (#1212)

    Enfin !!!!????

    Je désespérais à avoir une telle position de la part de la CI, je pensais que ...

    Je félicite donc cet ICG et l’encourage à persister dans cette voie pleine de sagesse et de bon sens.

    Mon unique objection porte sur cette mission de police ONU/UA qui peut être une source de beaucoup de dérapages, et serait très mal vue par la population. Madagascar est une île et l’intrusion d’une force étrangère sera considérée automatiquement comme une invasion.

    Les forces de l’ordre malgaches suffisent pour assurer cette mission, quelques intructeurs et conseillers sont les bienvenus mais pas toute une division ou ...

  • 19 mars 2010 à 10:24 | Rainivoanjo (#1030)

    Elections libres et équitables ? Citez-moi un seul pays d’Afrique où il y a un gouvernement élu et qui dit que ses élections n’étaient pas libres et équitables. Par contre, demandez leurs avis à la population pour savoir ce que veut dire pour elle libres et équitables ! Qu’elles sont ridicules ces organisations qui parlent de liberté ou d’équitabilité alors que tout le monde sait que les élections sont truquées déjà au niveau de la propagande -très souvent, seuls certains candidats ou partis ont droit aux médias d’état nationaux, les partis ou hommes politiques riches ou financés de l’extérieur sont avantagés par rapport aux autres, sans parler des situations où on empêche tout simplement des candidats de faire de la propagande avec des menaces sur leur vie.

    • 19 mars 2010 à 11:02 | mpitily (#1212) répond à Rainivoanjo

      Cher Rainivoanjo,

      relisez la recommandation n° 1, c’est la réponse à votre doute.

      Mpitily

    • 19 mars 2010 à 12:36 | Rainivoanjo (#1030) répond à mpitily

      Vous savez qui est membre du comité de direction de l’ICG ? Allez sur leur site et vous aurez une idée de leur idéologie. Vous voulez des exemples de leur parti pris ? Vous voulez des exemples d’élection qui sont connus comme étant truqués et qui pourtant ont été validés ? Ou des exemples d’élection qui ont été non truqués -reconnus par tout le monde- et dont les résultats n’ont pas pris en compte car ne correspondant pas à leur attente ? Allons, allons, Madagascar n’a pas besoin de donneurs de leçons, en tout cas pas de ceux-là.

    • 19 mars 2010 à 14:37 | mpitily (#1212) répond à Rainivoanjo

      Merci pour le conseil. Je ne savais pas que Joaquim Chissano était membre du comité de direction de l’ICG ? cela promet bien. Comme les 3 autres mouvances l’appréciaient bien, j’espère qu’ils ne le diaboliseront pas après cette prise de position de l’ICG.

      Rainivoanjo, l’ICG n’organisera pas les prochaines élections chez nous, donc ne paniquez point.

      Sinon que nous proposez-vous alors ? toujours ce gouvernement à 4 têtes incongrues ? En quoi va-t-il améliorer un tant soi peu l’organisation et les résultats des élections qu’il va organiser ? Franchement, pfffffffffffff.

  • 19 mars 2010 à 13:40 | Mandimbisoa (#2104)

    Miarahaba,

    Erin-taona lasa izay no nitondran-dRajoelina sy ny tariny ny firenena ;Inona no ZAVA-TSOA AZONTSIKA Malagasy ? Misy VE ilay Demokrasia notatatataina eran’ny haino aman-jery sy ny gazetin’izao totolo izao ?...MIAINA FINARITRA ve ny Malagasy ?...Milamina ve ny firenena ?...Mandroso ve ny Firenena ?...Niakatra ve ny fari-piainan’ny Malagasy,ka Mihinana araky ny tokony ho izy NOHON’ny teo ALOHA ny Malagasy ?

    Miteny DAHOLO izay te hiteny hoe:TSY NAHAVITA AZY ireo mpitondra teo aloha,NA TIANA NA TSY TIANA anefa dia ireo no mpitondra mbola VELONA ary NANAOVAN’ny Malagasy FIFIDIANANA*(=Safidin’ny Malagasy*)NISY MPANOHANA IREO,eo koa Rajoelina,izay marihina fa TSY LANIM-PIFIDIANANA fa NAKA ankeriny ny FITONDRANA(izay misy mpanohana azy koa) KANEFA NEKENA SY NASAINA hiara-hiasa sy Hikaon-doha hitady ny marimaritr’iraisana IZAY ahasoa ny FIRENENA...Milaza ho TIA ity Firenena ity daholo isika,IZAY SISA no tokony JERENA fa tsy ny fanejehana sy ny fitsikerana an’iRanona sy Ranona lava izao...

    Io Fampiresahana io dia atao eo ambony latabatra (seza mitovy na ny voafidy na tsia),izany hoe égal à égal,Tsy nisy namaly foana moa ny fanotaniana izay napetrako hatrizay:Inona no TSY HANEKENA ? NAHOANA NO TONGA DIA MILAZA fa tsy METY IO ?

    NY FINIAVANA angamba no tsy misy,ary ny Malagasy no JERENA raha tena fitiavan-tanindrazana no manetana an’ireo mpitondra ireo fa tsy ny fanapotehina ny rehetra ...Tsy ny filazana eran’ny Nosy fa « ianareo » izany no martiora ankehitriny(dia ontsa ny fon’ireo olona)

    SATRIA ny tsy AO andohanareo, ny Malagasy no TENA MARTIORA mitombo isa nandritran’izay taona iray izay,amin’ny tsy fandinihinareo alavitra,
    Mijaly amin’ny HABIBIAN’ny sasany,nohon’ny fahaveresan’ny asa sns sns ...KOA diniho sy avadio impito ny lela vao miteny FA MAHAMENATRA raha MITENITENY foana !

    Ary farany TSY HISY FIFIDIANANA vanona raha mbola MISY ny TSY MAHAZO
    MANEO ny heviny !

  • 19 mars 2010 à 13:54 | FIPOZ (#2162)

    N’en déplaise à certains détracteurs, je trouve pour ma part cette synthèse très réelle avec un résumé chronologique bien compacté sur cette crise qui n’en finit plus et à laquelle il faudra trouver un terme.
    A vouloir contenter tout le monde on arrive à ne satisfaire personne. Chacun sort ses propositions et ses solutions. Aujourd’hui rien n’a abouti. Certains pensent qu’il n’y a pas de leçons à recevoir, d’autres se tournent vers ceux qui pourraient les éclairer tant ils n’arrivent plus à trouver une moindre lumière et l’apnée subie par la population est à la limite du vivable.
    L’ICG propose des recommandations qui me semblent jouables, c’est leur rôle-mission. Que Madagascar en dispose avec raison ....

  • 19 mars 2010 à 14:45 | Parole (#2602)

    Lire le rapport complet d’ICG sur www.crisisgroup.org

  • 20 mars 2010 à 14:58 | kotondrasoa (#3872)

    Les idées de ICG sont défendables mais le vrai problème réside dans la partialité des décisions de la HAT qui, vont tenir les rênes de l’Etat, jusqu’aux élections.

    Par ailleurs, la Police Nationale et les Forces Armées ne sont pas des éléments, susceptibles d’agir sans idées arrêtées.

    Enfin, le vrai problème de ceux qui se « hâtent » lentement, c’est qu’ils ont peur du retour de ra8 car, ils savent pertinemment que ra8 serait encore réelu et, ils ont peur de sa vengeance et d’ailleurs, ils détiennnent à proportions inégales des avoirs de ra8.

    Aussi, ils s’incrustent jusqu’à ce que la population se réveille !

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