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mercredi 17 décembre 2025
Antananarivo | 10h08
 

Editorial

Madagascar : l’inéluctable systémique des crises ?

mercredi 17 décembre | Lalatiana Pitchboule |  154 visites 

PARTIE 1 – La mécanique du chaos : pourquoi Madagascar retombe toujours dans la crise

On a parfois ce sentiment étouffant que l’histoire malgache semble inéluctablement enfermée dans sa spirale de pauvreté… Enfermée dans cette croissance régulière des inégalités (de plus en plus de pauvres de plus en plus pauvres face à la montée d’une oligarchie cynique à vomir de plus en plus riche) … Et enfermée dans ce cycle de crises à répétition… 1972, 1991, 2002, 2009, 2025…

On change quelques têtes, on change les couleurs des cravates ou des T-shirts que l’on passe du bleu à l’orange… On brûle quelques bâtiments et on pille quelques magasins … Et on recommence. Même misère, mêmes combines… même désespoir.

Qui a prononcé le mot de « malédiction » ?

Mais si ce n’était pas une malédiction ? Et si ce cycle n’était ni un “tody”, ni un karma qui revient, ni une fatalité mystique, mais une mécanique sociale que l’on peut regarder en face, sans complaisance ni romantisme ?

C’est ici qu’entre en scène Peter Turchin. Ce n’est pas un astrologue. Ce n’est pas non plus un Nostradamus des temps modernes. Turchin est un chercheur, un biologiste reconverti en anthropologue et en historien des mathématiques qui étudie les sociétés humaines comme il le ferait dans son laboratoire d’entomologiste : il cherche à repérer des cycles, des pressions, des ruptures.

Sa discipline a un nom un peu barbare : la cliodynamique [1]. Qu’on y adhère ou pas, elle a une vertu : elle force à poser la question qui dérange — “qu’est-ce qui, structurellement, rend nos crises si répétitives ?”.

Le Trépied de l’Enfer : Le Modèle Turchinien pour les Nuls

Pour Turchin, l’histoire des sociétés complexes caractérise des cycles systématiques d’intégration et de désintégration, de stabilité et d’effondrement … Une société stable, c’est comme une cocotte-minute. Elle tient le coup tant que la pression est gérable. Mais quand trois facteurs spécifiques se réunissent et passent au rouge, le couvercle saute. C’est de la physique sociale en forme d’anthropologie …

Le modèle caractérise 3 facteurs, vecteurs de désintégration / déstabilisation :

1) La Paupérisation populaire. Ce n’est pas “être pauvre”. C’est basculer de la vie vers la survie, avec des revenus réels qui reculent, des prix qui montent, et la sensation que la croissance – si elle existe – ignore les plus fragiles. Le peuple, qui cherche non plus un projet, mais des voies de survie (et de sortie) se mue en baril de poudre : Il s’enflammera et explosera à la première étincelle.

2) La Fragilité financière de l’État. Quand l’État n’a plus les moyens de payer correctement, d’entretenir, d’investir, de sécuriser, il perd sa capacité à “tenir” le pays. Un État riche achète du temps social. Un État désargenté n’a plus que l’injonction en recours … ou la communication démagogique … Ou la matraque de la répression … Et sinon le vide.

3) La Surproduction des élites. C’est le facteur le plus explosif qui fonde le concept clé de Turchin. On connait le jeu des chaises musicales où, tant que la musique s’exécute, les joueurs tournent autour d’un lot de chaises vides et se précipitent pour s’assoir quand la musique s’arrête : comme il y a toujours moins de chaises que de joueurs en lice, ceux qui n’ont pas eu leur fauteuil sont éliminés… Frustrés, ces acteurs se muent en contre-élites. Et ces contre-élites s’attachent à mobiliser le Facteur 1 (le peuple paupérisé) pour faire tomber le Facteur 2 (l’État désargenté) … et prendre le fauteuil de ceux qui sont assis.

Appliquons la grille à notre histoire nationale.

De la Colonisation à la IVe République : La Fabrique à Frustration

L’histoire de Madagascar depuis deux siècles est l’histoire d’une machine qui fabrique trop d’élite pour une économie trop petite.

Sous la monarchie déjà, la compétition entre Hova et Andriana pour les faveurs du Premier ministre Rainilaiarivony fragilisait le royaume face aux Français. Mais le vrai cycle d’opposition élites /contre-élites commence avec la colonisation.

L’administration coloniale a structuré un début d’évolution sociale centrée sur l’école, le diplôme, la fonction. Mais elle a bloqué l’ascension des élites locales.

On a formé des médecins, des instituteurs, des écrivains … Mais on leur a interdit les postes de commandement. Résultat ? 1947, où une contre-élite frustrée a mobilisé une population exploitée.

L’Indépendance de 1960 a ouvert les vannes de la montée en statuts d’une classe qui n’était jusque-là que la contre-élite des élites coloniales. Le jeu des chaises musicales s’ouvre alors avec une offre de postes abondante … Fauteuils de ministres, ambassadeurs, directeurs, secrétaires généraux… Et on a pu servir le plus grand nombre.

Age d’or ? Non… Parce que la démographie se met à galoper. L’université de Tana, à l’époque un fleuron de l’enseignement supérieur en Afrique, commence à produire des milliers de diplômés … Mais l’économie néocoloniale ne crée pas suffisamment d’emplois qualifiés. 1972 voit alors descendre dans la rue les étudiants… Cette future élite est ici confrontée à une pénurie de postes à statut parce que les places sont majoritairement occupées par les caciques du PSD … Et les coopérants français… Le « non à l’impérialisme culturel ! » est aussi un « nous aussi on mérite notre fauteuil ! »

Le schéma est là : Surproduction des élites + Paupérisation = Chute du pouvoir Tsiranana. TSAK ! TSAK ! TSAK !

Ratsiraka a tenté, le premier, de geler le système par le socialisme. Il crée une caste militaire (l’élite au pouvoir) mais appauvrit tout le reste. Et en accentuant la ruine de l’économie, il coche en rouge la case « Fragilité de l’État ». En 1991, l’État est largement désargenté. Les Forces vives, mélange hétéroclite d’élite exclue, d’Églises et de bourgeois frustrés ont poussé le mur … Et le mur est tombé.

L’Accélération des Cycles : La Guerre des Chefs

On en arrive à 2002. Marc Ravalomanana, n’est pas un homme du peuple. C’est un représentant de la contre-élite économique (Tiko) bloqué par une élite politique (l’Arema). Il veut sa part du pouvoir pour protéger son business. Et il utilise alors la rue, ses frustrations, son mécontentement. Et il gagne… Et la nouvelle élite TIM et Tiko boys vire l’élite AREMA.

Mais une fois au pouvoir, il verrouille l’économie pour son clan (Tiko-isation)… Et engendre une « Surproduction d’élite exclue » massive : les autres opérateurs économiques, les militaires mis au placard, les jeunes loups de la politique … Et un certain Disk Jockey.

En 2009, ainsi, l’équation Turchinienne est parfaite. Paupérisation : Le prix du riz et de l’huile flambe, l’achat du Boeing Force One scandalise ; Élites : Andry Rajoelina fédère autour de lui toute la contre-élite des déçus du ravalomananisme ; État fragile : L’armée, divisée et sous-payée, lâche le président.

Mais depuis 2009, nous n’avons rien réglé. Nous n’avons juste mis qu’un pansement sur une jambe de bois. La « Transition » a organisé un pillage orgiaque du pays pour coopter les élites voraces (bois de rose) … Et en affaiblissant encore plus l’État.

2025 : La Chronique d’une Explosion annoncée

On pourrait laisser à tout un chacun le soin de mesurer les récents évènements à l’aune de l’équation de Turchin.

2025 sentait la poudre et l’aiguille du compte-tours de Turchin était coincée en zone rouge. Paupérisation absolue et insupportable. Le peuple n’en peut plus de privations. L’insécurité est le reflet d’un contrat social rompu. L’État est sous perfusion et sous dépendance des bailleurs de fonds. La Jirama est un trou noir financier qui siffle tout le budget.

Mais surtout, la Surproduction des Élites atteint des sommets. On l’a vu à l’abondance des candidatures pour des postes au sein du nouveau pouvoir ou à l’hallucinante pléthore de partis politiques qu’on n’a jamais vus déclarés en si grand nombre. La bataille de l’automne 2025 était une bataille pour la survie biologique d’élites qui ne s’est n’est pas éteinte.

Si l’on suit le modèle, le renversement – qu’il soit par les urnes contestées, par la rue ou par la caserne – n’est pas un accident. C’est une correction statistique. Le système est trop lourd, trop corrompu, trop inefficace. Il doit purger son excès de pression. Et le constat est terrifiant… Parce que ce ne sont pas des élections ou une nouvelle constitution qui résoudront a priori cette équation :
Surproduction des élites ( Paupérisation sur le terme ) / Etat Fragile = 0.

Et voilà pourquoi nos crises se ressemblent. À chaque séquence, on retrouve la même chorégraphie : la population souffre, l’État s’affaiblit, et la compétition des aspirants au pouvoir se durcit. Les dates ne sont pas seulement des “coups d’État”, des “révolutions” ou des “transitions”. Ce sont des moments où les trois pressions se synchronisent.

Selon Peter Turchin, si on ne résout pas le problème structurel (trop d’élites, pas assez de gâteau), les cycles de violence se rapprochent. Ce cycle n’implique pas que tout soit écrit d’avance. Il dit autre chose, plus gênant : tant qu’on ne soulage pas les pressions structurelles, changer les personnes ne change pas la mécanique. On peut repeindre la façade, le mur reste fissuré.

Mais si on ne peut réduire la masse élitaire en concurrence, on ne peut agir que sur la réduction de la paupérisation … Et sur la fragilité financière de l’Etat … Ici ce n’est donc pas la structure que l’on remet en cause … C’est le système incapable de canaliser, faute de place, ses contre-élites. Qu’en sera-t-il demain ?

Le faux paradoxe : manque de compétences… mais trop d’élites ?

On pourrait objecter : “On manque de compétences, on doit former massivement. Et toi tu parles de surproduction d’élites. Contradiction !”

Il n’y a pas contradiction. Il y a une tragique inadéquation.

1. « Élite » ne veut pas dire « Compétent » : dans le modèle de Turchin, Une élite n’est pas forcément constituée que de personnes talentueuses ou utiles à la société. Un membre de l’élite est quelqu’un qui détient du pouvoir social/politique ou qui, par son statut (diplôme, richesse, nom de famille), aspire « légitimement » à en détenir.

On peut ainsi caractériser une surproduction d’aspirants aux fonctions du pouvoir et, en même temps, une pénurie de techniciens (ingénieurs agronomes, hydrauliciens, techniciens industriels) capables de construire l’économie du pays.

2. Le problème de l’inflation des diplômes : C’est le piège des systèmes éducatifs déconnectés du réel qui voit former massivement des « cols blancs » pour une économie qui a besoin de « cols bleus ». Un jeune avec un Master sans débouché caractérise un déclassement. Et le déclassement fabrique des contre-élites : des gens assez formés pour se sentir “légitimes à”, et assez frustrés pour devenir dangereux… Et assez nombreux pour faire masse.

3. La fuite des cerveaux : les compétences exportables partent. Elles sortent de l’équation nationale. Et il ne reste souvent, localement, en termes d’élites avides de pouvoir social, que ceux dont la réussite dépend le plus de la rente politique ou de l’accès à l’État. L’arène se sature, l’administration se dégrade : surproduction d’aspirants à l’élite, pénurie de savoir-faire.

4. L’Économie est trop petite pour les talents existants : même si nous formions des cadres parfaitement compétents, le problème de la surproduction demeurerait si l’économie ne grandit pas. Si on forme 1000 excellents ingénieurs miniers demain, mais qu’il n’y a que 2 projets miniers actifs à Madagascar, on a 900 élites compétentes en surproduction.

Ces 900 ingénieurs brillants, faute de poste technique, se muent désormais en contre-élites qui vont se lancer en politique ou dans l’activisme pour survivre… Et deviennent des facteurs d’instabilité… Qui a dit « Gen Z » ?

Le paradoxe se dissout donc.

En conclusion de cette partie, si Turchin a raison sur le diagnostic, des comparaisons historiques peuvent être intéressantes à établir. C’est là que nous pouvons regarder ailleurs, vers le Vietnam, le Rwanda ou le Ghana, pour comprendre ce qui peut nous attendre…

(Partie 2 : Scenarios de Sortie)

Partie 2 : Scenarios de Sortie

Dans la première partie de notre plongée dans la Cliodynamique de Peter Turchin, nous avons posé le diagnostic : Madagascar est une cocotte-minute qui a explosé plusieurs fois … La dernière explosion date de 2025. Paupérisation maximale, État désargenté … Et surtout, une guerre fratricide entre les représentants de l’élite.

La question étant désormais « maintenant que ça a pété, qu’est-ce qui vient après ? ».

Sortons ici de notre insularité et regardons comment d’autres nations ont traité (ou subi) cette équation.

Si Turchin nous enseigne que l’histoire est un laboratoire, observons les éprouvettes voisines : le Vietnam, le Rwanda et le Ghana à l’aune de la théorie (on aurait pu le faire sur d’autres états de manière prédictive ou rétrospective… y compris à propos notre chère Reny Malala, la France, ce que vous pouvez vous amuser à faire).

Le « Modèle » du Grand Nettoyage : Vietnam et Rwanda

D’aucuns énoncent « Il nous faut un Kagame ! » ou « Regardez le miracle vietnamien ! ». Il faut toutefois prendre garde à bien regarder le prix sur l’étiquette avant d’acheter le produit.

Selon la lecture turchinienne, le décollage économique du Vietnam et du Rwanda n’est pas le fruit du hasard ou du génie d’un seul homme. C’est le résultat d’une « réduction radicale » (et terrifiante) par la violence de la surproduction des élites.

Le Parti Communiste du Vietnam en 1975 a résolu le problème des factions rivales d’une manière « très simple » : il a gagné la guerre. L’élite du Sud (bourgeoise, pro-américaine) a été décimée, emprisonnée / reconditionnée … D’autant que la guerre avait aussi décimé les populations du Nord, il ne restait de fait plus qu’un seul groupe élitiste, unifié, discipliné, sans concurrence interne pour freiner les projets.

Idem quant au Rwanda de 1994. Le génocide et la guerre civile ont été un (atroce) filtre darwinien. L’ancienne élite Hutu extrémiste a fui ou a été vaincue. La nouvelle élite (le FPR) s’est retrouvée seule aux commandes, avec une « Asabiya » (cohésion de groupe) forgée dans le sang et la peur existentielle de disparaître.

Pourquoi ces pays se sont-ils développés ensuite ? Peut-être parce que les élites survivantes avaient le dos au mur. Elles savaient que si elles ne développaient pas le pays, elles disparaitraient. Et elles ont ainsi arrêté de piller le pays pour commencer à bâtir.

La corruption est devenue une trahison, pour ne plus être une composante systémique, un mode de vie.

Il est évident que nous ne pouvons absolument pas souhaiter payer le prix des 3,3 millions [2]de victimes militaires et civils de l’affrontement Vietcongs / Sud vietnamiens… Pas plus que les 800 000 [3] victimes de l’affrontement Tutsis Hutus du Rwanda. Mais la froideur du constat est là.

Il a fallu qu’une grande partie des politiciens et opérateurs économiques soit partie soit en exil soit au cimetière pour que, enfin, les survivants se décident à construire des routes… Et bâtir une nation. Le « Fihavanana », même hypocrite, nous a préservés du pire jusqu’ici. Mais, il faut le dire, à jouer avec le feu sans opérer aux réformes de fond nécessaires, l’incendie risque de reprendre encore plus violent.

Le Contre-Exemple pour la vigilance : Le Ghana et l’Illusion de la Stabilité

Un exemple plus proche de nous est souvent cité en modèle démocratique en Afrique : le Ghana.

Le Ghana de Rawlings a servi de modèle (et pourrait nous servir de modèle de référence). Rawlings a maintenu ses contre-élites à l’écart pendant 11 ans avant de revenir à la démocratie. Et a fait du Ghana un modèle de stabilité, de développement et de démocratie en Afrique… Pour un temps… Pour un temps parce que si on applique le modèle de Turchin au Ghana d’aujourd’hui, on revoit tous les voyants clignoter comme un sapin de Noël… C’est peut-être de saison.

Le Ghana vit une désintégration contrôlée. Le pays a produit massivement des diplômés. Il existe désormais, de manière absurde, une « Association des Diplômés Chômeurs ». On a là de fait une contre-élite qui s’est bâtie, véritable armée de réserve pour une révolution.

Quant à l’Etat ghanéen, après des années de stabilité, la situation économique du Ghana s’est dégradée à partir de 2021 ?2022 sous le poids d’un endettement public déjà très élevé, de déficits budgétaires chroniques, de chocs externes (Covid, Ukraine) et d’une perte de confiance des marchés … Résultat : crise de change, flambée de l’inflation…. Et si, aujourd’hui, le pays se stabilise économiquement la situation, sous le contrôle du FMI, reste fragile… Et contrainte par l’austérité et la restructuration de la dette.

Le Ghana n’a pas (encore) explosé comme le Mali ou le Burkina… Grâce en particulier aux soupapes que sont ses institutions traditionnelles (les Rois Ashanti, les chefs religieux), toujours respectées et capables de calmer le jeu. Et l’alternance politique (NPP vs NDC) semble y fonctionner encore un peu comme un calmant : « Patience, notre tour viendra dans 4 ans ».

Mais la façade se fissure. La jeunesse ghanéenne ne croit plus en une alternance qui ne changera rien à la désolation de son frigidaire vide.

Le Ghana nous montre qu’une démocratie formelle, sans redistribution économique réelle, ne fait que retarder l’échéance… Ou repousser le cycle … C’est un avertissement pour Madagascar : une élection sous deux ans, même « propre », ne résoudra rien si la structure économique sous-jacente reste fragile … Je l’avais pressenti … Je l’ai dit … Je le redis.

Les Solutions : Comment désamorcer la bombe sans la faire sauter ?

Alors, sommes-nous condamnés à choisir entre le chaos perpétuel que caractérise le cycle malgache actuel et l’efficacité froide d’une dictature violente ?

Peter Turchin, propose une troisième voie… Voie étroite, difficile… Mais salutaire. Mais elle demande du courage politique, denrée malheureusement semble-t-il rare à Tsimbazaza, Mahazoarivo, Ambohitsirohitra, Ambohidahy nos lieux symboliques du pouvoir.

Les piliers d’une solution « Turchinienne » pour Madagascar sont décrits ici en trois vecteurs.

1. Inverser la Pompe à Richesse (ou « Le Sacrifice des Élites »)

C’est la mesure la plus dure. Les élites malgaches (politiques et économiques, souvent les mêmes) doivent comprendre qu’il est dans leur intérêt vital de perdre de l’argent MAINTENANT pour ne pas perdre leur tête DEMAIN. Cela signifie une réforme judiciaire et fiscale réelle.

C’est la fin des exonérations douanières pour les copains. C’est la fin des trafics d’or et de pierres précieuses qui sortent sans laisser un ariary au Trésor Public. L’État doit définitivement capter cette rente pour financer ce « New Deal » malgache dont nous avons impérativement besoin : des infrastructures rurales et des services sociaux… C’est la fin des contrats indus …

Si l’État redevient capable de fournir efficacement ses services de base en termes d’eau, d’électricité, de sécurité, d’emploi, d’éducation, de santé, d’infrastructure, la tension populaire baisse instantanément. Le « Principe de Sacrifice » s’énonce simplement : payez vos impôts pour acheter votre sécurité à long terme.

2. Créer une Soupape Économique pour les Élites (Diversifier ou Mourir)

Pourquoi la politique est-elle une guerre à mort à Madagascar ? Parce que c’est le seul business rentable. Si vous n’êtes pas au pouvoir, le fisc vous tue, la douane vous bloque, les juges vous harcèlent.

Déconnecter la réussite économique du pouvoir politique devient un impératif absolu. Une véritable méritocratie doit retrouver pleinement sa place. Le jeune brillant doit pouvoir devenir millionnaire en montant une start-up, une usine de transformation de vanille ou une coopérative agricole, SANS avoir besoin de se soumettre aux injonctions d’un ministre ou d’une quelconque et fallacieuse autorité … Ou d’un banquier. Si l’économie privée réelle se développe, elle absorbera le surplus d’élites. C’est la seule et la meilleure assurance-vie d’un régime en place.

3. La Décentralisation radicale (diviser pour faire régner… la Paix)

On doit voir ici la décentralisation, non pas seulement comme un projet administratif ou économique (même si les enjeux doivent rester prégnants). Il s’agit d’un enjeu stratégico-politico turchinien : le système « Winner-Takes-All » centralisé à Antananarivo est suicidaire. Tout le monde veut le palais d’Iavoloha parce que tout s’y décide.

Diluer véritablement le pouvoir, en attribuant les budgets et le pouvoir de décision localement (au moins régionalement) permet de disperser la compétition. Au lieu de 100 candidats prédateurs de la contre-élite qui se battent pour un fauteuil à Tana, on en revient à 4 prédateurs par région…. Ce qui ferait mécaniquement baisser la température.

Conclusion : les choix à faire

Le modèle de Turchin est formel : les cycles ne s’arrêtent pas par magie. Ils s’arrêtent quand les pressions structurelles sont soulagées.

Madagascar arrive à la croisée des chemins. Le chemin de la facilité, c’est de continuer comme avant : les politiques actuelles semblent ne reconduire que l’existant. Colloque national, textes électoraux, constitution, élections même si elles sont un jour moins douteuses… Et des prières pour que ça tienne.

Il y a malheureusement de grandes chances que ça ne tienne pas. La pression démographique, la frustration économique et la frustration des ambitions des contre-élites risquent d’être trop fortes. Le chemin de la raison nous impose de reconnaître que le système actuel est à bout de souffle.

Pour transformer cette désintégration en une transition maîtrisée, il nous faudrait un Pacte Républicain inédit. Un pacte où les grands décideurs, patrons, chefs militaires et leaders politiques accepteraient de « poser les armes » (économiques et politiques) et de renoncer à tout (on peut rêver) ou large partie de leurs prélèvements de prédateurs pour que le navire ne se fracasse pas… Ou peut-être un Référendum … Qui fixerait un pouvoir capable de contrôler ses contre-élites et de lutter contre la corruption … Intelligemment, avec fermeté et sans violence imbécile qui ne résoudrait pas l’équation… Et préparer une VRAIE transition démocratique… « Esprit de Rawlings, inspire-nous ».

Cela peut sembler utopique d’autant que le scénario paraît inexorable. Il revient à chacun des acteurs de l’économie, de la société civile, de la jeunesse, de l’administration, des partis politiques, des organisations confessionnelles, d’évaluer pleinement le niveau de danger… Pour décider si nous nous muons en bâtisseurs … Ou en fossoyeurs de la Nation.

Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 16/12/2025
Les Chroniques de Ragidro

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Notes

[1La Cliodynamique, de Clio – la muse de l’Histoire – et de dynamique – le mouvement – est une discipline empruntant à l’anthropologie, à l’histoire, aux sciences sociales, à l’informatique ainsi qu’à la biologie évolutive.
https://www.cliodynamique.org/cliodynamique/quest-ce-que-la-cliodynamique
https://youtu.be/bk9bs0F_oIU
Peter-Turchin « Le-Chaos-qui-vient-Elites-contre-elites-et-la-voie-de-la-desintegration-politique ». Editions du Cherche Midi -2023
En 2012 (!!!) j’écrivais dans https://madagoravox.com/2012/01/10/50-ans-de-transition-deuxieme-partie/ en m’appuyant sur les textes de Dankwaert Rustow « La deuxième condition/phase [ à la démocratisation] est l’existence d’une crise politique prolongée et insoluble qui voit s’ouvrir une fenêtre d’opportunité à la démocratisation quand un constat absolu d’impasse au conflit est établi. La troisième phase est une phase de « Décision » qui émerge quand les acteurs, constatant l’impasse du conflit après avoir épuisé toutes les solutions, sont contraints de NEGOCIER un compromis et des règles démocratiques. Là, il va falloir faire en sorte que les pseudo élites en question se sentent suffisamment étranglées par un réveil civique et militant avant que le pays n’ait lui-même trépassé.

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