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Culturel

Jean Joseph Rabearivelo : L’œuvre fondatrice de la modernité francophone

mercredi 11 juillet 2012

(MFI / 10.07.12) Le second tome des Œuvres complètes du Malgache Jean Joseph Rabearivelo, désormais disponible en librairie, témoigne de la vitalité exceptionnelle de ce poète fondateur de la francophonie africaine.

Près de soixante-dix ans après la disparition dans des circonstances tragiques du grand poète malgache, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en collaboration avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), a décidé de publier l’intégralité de l’œuvre de Jean Joseph Rabearivelo. Le premier tome de ses Œuvres complètes était paru il y a dix-huit mois. Il comportait le journal intime inédit de l’écrivain, les légendaires Calepins bleus, et une partie de ses correspondances. Le second tome qui paraît ces jours-ci est composé d’œuvres de création (poésie, romans, théâtre), ainsi que de ses traductions de poésie malgache et de ses critiques littéraires.

Et ce n’est pas fini car les 3 000 pages que comptent les deux volumes désormais disponibles n’épuisent pas l’ensemble des travaux du Malgache, selon les chercheurs qui ont coordonné ce travail titanesque : Serge Meitinger, Laurence Ink, Liliane Ramarosoa et Claire Riffard. Il reste encore 1 000 pages à faire connaître tant l’œuvre est foisonnante et multidimensionnelle. Elles seront ultérieurement mises à la disposition du public sur un support numérique.

Célèbre et méconnu

Rabearivelo est sans doute l’écrivain francophone malgache le plus célèbre. Et le plus méconnu aussi, car une majeure partie de son œuvre est longtemps restée inédite. Né en 1903, l’homme s’est fait connaître dès les années 20, en publiant des recueils de poésie d’une grande puissance lyrique. Homme de talents multiples, il s’est imposé comme poète, mais aussi romancier, journaliste, dramaturge, critique, historien littéraire et formidable épistolier. Sans jamais être sorti de Madagascar, il entretenait des liens par correspondance avec quelques-uns des grands écrivains occidentaux de son temps : André Gide, Paul Claudel, Valéry Larbaud… Senghor qui avait inclus ses poèmes dans son Anthologie de la poésie nègre et malgache (1948) le considérait comme le « Prince des poètes malgaches ».

Prince, Rabearivelo l’était par sa famille qui appartenait à la vieille noblesse « merina » (ethnie majoritaire) qui a gouverné l’île avant l’arrivée et l’installation des Français en 1896. Autodidacte, il a grandi dans la fascination des Lettres françaises et vouait une grande admiration à Baudelaire dont il partageait le spleen et peut-être même le talent. Si les premières œuvres de Rabearivelo puisent leur inspiration dans la métrique et les thématiques françaises (Baudelaire, Claudel), le poète a évolué chemin faisant et a jeté les fondements d’une écriture réellement métisse, mêlant son héritage littéraire malgache avec la parole poétique française dont son imaginaire s’est nourri.

C’est ce qui a fait la spécificité mais aussi le malheur de Rabearivelo.
À la fois conscient de sa position originale de poète héritier d’une double tradition française et malgache et frustré par l’accueil pour le moins équivoque réservé à son œuvre dans le contexte colonial, Rabearivelo s’est suicidé en 1937 à l’âge de 34 ans, laissant derrière lui une œuvre immense. Après sa mort, les institutions françaises se sont saisies de ses écrits et ont fait de l’auteur l’exemple de l’assimilation à la française, oubliant commodément son identité malgache. Après l’indépendance en 1960, les nouvelles autorités ont pris la mesure de la double appartenance de Rabearivelo et ont fait de lui le grand poète national, une sorte de Victor Hugo malgache, sans pour autant se donner les moyens pour faire connaître au grand public l’intégralité de son œuvre.

Une aventure éditoriale

C’est maintenant chose faite avec la parution de ses Œuvres complètes. Le projet d’édition de « tout-Rabearivelo » participe d’une véritable aventure scientifique et littéraire contemporaine. À la mort du poète, l’essentiel de sa production est enfermée dans des malles familiales. Elle y restera pendant de longues années faute d’opportunités jusqu’à ce que les ayants-droits se rendent compte de la fragilité des manuscrits et de la nécessité de les sauvegarder pour la postérité. La famille avait signé un premier contrat dans les années 1990 avec Présence Africaine pour la publication des journaux intimes du poète, mais le projet ne se concrétisa pas en raison des problèmes budgétaires. Tout se débloque lorsque le petit-fils de Rabearivelo prend les choses en main suite à sa découverte d’une tentative de dépouillement des ayants-droits vieillissants par d’autres membres de la famille. Il persuade ses oncles et ses tantes de la nécessité de confier les trésors de leur père qui dormaient dans des malles à des spécialistes.

Le CNRS entre en scène. L’équipe « Manuscrits francophones » du laboratoire ITEM, l’Institut des textes et manuscrits modernes, est spécialisée dans le travail de sauvegarde et de valorisation des manuscrits anciens. Elle a déjà publié les Œuvres complètes de Senghor quand elle est alertée de l’existence d’un gros fonds Rabearivelo par le Centre culturel français (CCAC) d’Antananarivo à qui la famille du poète a remis les manuscrits. La décision d’élaborer et de publier une édition critique intégrale de l’œuvre de Rabearivelo dans la collection « Planète libre » du CNRS est prise en septembre 2008.

L’approche génétique

Comme on peut l’imaginer, entre la décision de publier les manuscrits retrouvés et la publication effective, un gros travail de dépouillement, de compulsion et de numérisation a été fait par les chercheurs. Une équipe internationale a travaillé tant à Madagascar qu’à Paris sur les documents trouvés dans les malles de la famille. Le second tome qui paraît aujourd’hui suscite moins de surprises que le premier, composé du journal intime du poète, totalement inédit jusqu’à sa parution en 2010. La nouveauté du dernier volume réside essentiellement dans l’approche génétique des œuvres qui a été privilégiée par les chercheurs de l’ITEM. Leur démarche consiste à opposer la version définitive aux étapes successives d’élaboration par lesquelles le texte est passé.

Pour mieux mesurer l’intérêt de l’approche génétique, rien ne vaut la consultation de la grille de lecture que proposent les éditeurs pour les derniers recueils publiés par Raberaivelo avant sa mort : Presque-Songes (1931) et Traduit de la nuit (1934). Ces recueils bilingues (en hova et en français) constituent un tournant dans la production du poète dans la mesure où il assume désormais ouvertement les deux versants de sa personnalité créatrice. Or l’écriture de la tension entre les pôles, constitutives de l’identité, ne va pas de soi et n’est pas perceptible au lecteur qui ne connaît que la version définitive de l’œuvre. Seule une lecture génétique, mettant en exergue « ratures, ajouts, repentirs, reprises et mêmes bévues et oublis » permet, comme l’a écrit Claire Riffard dans sa lumineuse introduction à ces deux textes, « d’éclairer quelque peu sur « l’atelier » du poète et où il apparaît explicitement que le poète a composé son œuvre dans un va-et-vient incessant entre ses deux langues d’écriture ». C’est sans doute ce va-et-vient pleinement assumé qui fait de Rabearivelo un poète fondateur et essentiel de la modernité francophone.

Tirthankar Chanda

Œuvres complètes. Tome 2. Le poète, le narrateur, le dramaturge, le critique, le passeur de langues, l’historien, de Jean-Joseph Rabearivelo. Paris, CNRS/ITEM/AUF, coll. Planète Libre, 2012. 1 800 pages. 35 euros.

1 commentaire

Vos commentaires

  • 11 juillet 2012 à 09:28 | plus qu’hier et moins que demain (#6149)

    Voilà un GRAND HOMME qui n’a pas chômé durant sa courte vie. Un modèle à suivre pour nos dirigeants et nos faiseurs d’opinions, c’est de laisser des œuvres pour la postérité au lieu de harceler par mont et par vaux madame la transition.

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