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Amnistie

vendredi 16 décembre 2011 | Sahondra Rabenarivo

La question de l’amnistie est un sujet épineux et difficile, mais qui dominera sans doute le débat dans les semaines et mois à venir. Je vous propose ces quelques commentaires pour que tous soient en connaissance de cause.

L’article 18 de la Feuille de Route prévoit qu’ « aucune élection ne devra avoir lieu avant la ratification par le Parlement de Transition de la loi d’amnistie ».

Mon Lexique Dalloz définit l’amnistie comme suit : « Sans effacer les faits matériels et leurs conséquences, l’amnistie, prévue par une loi, éteint l’action publique et efface la peine prononcée ». Ainsi l’amnistie se distingue de la grâce présidentielle qui accorde une remise ou une modération à une peine définitive, sans pour autant effacer le jugement ou le crime. On confond également amnistie avec le terme impunité, qui se réfère à un crime laissé impuni, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, même pas jugé. L’amnistie requiert un jugement : la peine prononcée est « effacée » et la procédure judiciaire est « oubliée » car l’infraction amnistiée ne peut plus à jamais être rappelée.

Savez-vous que Madagascar a sur ses livres, depuis la Loi 59-008 du 27 novembre 1959 portant amnistie politique, une quinzaine de loi ou d’ordonnance portant amnistie (que j’ai pu trouver en tout cas) ? À titre d’illustration, je vous cite ci-dessous les infractions politiques amnistiées par le passé :

59-008 : « les faits commis au cours de l’occasion des événements dits de la « Rébellion malgache de 1947-48 » »

72-002 : « atteintes à la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat commises en 1970 et 1971 au cours ou à l’occasion des événements dit « Insurrection du Sud » et Complot dit de l’ORSTOM »

75-012 : « À l’exception de l’assassinat, la tentative d’assassinat ou la complicité de ces crimes sur la personne du Colonel Richard Ratsimandrava et autres, les infractions atteintes à la sûreté intérieure de l’État et connexes commis en décembre 1974, janvier et février 1975 »

75-041 : « infractions pénales à caractère politique commises au cours des événements de : 1965 à Andapa, mai 1972, décembre 1972 à Tamatave, janvier 1973 à Antalaha, février 1073 à Diégo, Majunga et Antsohihy… »

76-051 : « faits commis au cours des « événements scolaires » de septembre 1976 »

Toutes les autres lois d’amnistie étaient plutôt de « droit commun » que politique, s’apparentant plutôt à des grâces pour des crimes ayant comme peine moins de trois mois d’emprisonnement ou une amende.

Ce que l’on ne trouvera pas dans ces diverses lois est la liste des bénéficiaires de cette amnistie. Dans la plupart de ces lois, le bénéficiaire doit faire une demande d’amnistie dans un délai de trois mois de la date de la loi, mais il ne m’est pas clair à qui, ni dans combien de temps et par quel moyen l’amnistie est accordée. Sachant que les principaux bénéficiaires de la loi d’amnistie de 2012 incluent des politiciens (qui doivent l’avoir pour être éligibles comme candidats aux élections), je me demande comment nous, électeurs, saurons qui est amnistié ? par le casier judiciaire ? par une proclamation de la CENI sur l’éligibilité du candidat ?

J’espère alors que la loi d’amnistie de 2012 sera plus détaillée et pas tout simplement copiée-collée des lois précédentes, que l’amnistie soit un bien précieux, accordé au nom de nous le peuple de manière transparente et solennelle. Il faudra alors que les infractions amnistiables soient bien précises, que les délais et procédures pour demander et accorder l’amnistie soient claires, et que la liste des personnes et peines amnistiées soient publiée. Il faudra surtout que ce bien précieux coûte quelque chose, comme sa publication par exemple, au vu et au su de tous.

La feuille de route précise que « sont exclus de l’amnistie les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide et les autres violations graves des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Elle ne cite pas explicitement les « crimes de sang » et ce n’est pas par hasard. D’autres contestent la validité même de la procédure menée contre eux et du jugement prononcé, alors qu’amnistie implique acceptation de cette action publique. Il reste donc du chemin à faire.

Mon inquiétude est alors qu’on fera comme avant et balayer le difficile sous le tapis, ou que cette question d’amnistie sera réglée (ou pas !) entre politiciens avec une vue sur le court terme (élections) et comme outil pour exclure ou boycotter. Ce qui nous laissera, nous électeurs, encore une fois, en dehors de l’arène et lointains spectateurs.

5 commentaires

Vos commentaires

  • 16 décembre 2011 à 11:43 | gasy_kely (#439)

    Un très bon article et en plus intéressante. Je loue le travail fait.

    Je suis entièrement d’accord avec vous : « les règles doivent être clairs ». Malheureusement, ce n’est pas notre fort ( A voir le problème SMM, police : on ne connait même pas ce que veulent vraiment les uns et les autres à part des menaces). Et si on arrive à faire rien que 50% de votre proposition : par exemple que le CENI dise les candidats qui peuvent se présenter car ils sont amnistiés, c’est déjà pas un grand pas en avant.

    Vivement, d’autres articles avec des vrais fonds comme celui là..

    Gasy kely tsy mahay !!!

  • 16 décembre 2011 à 18:41 | Tojo (#6209)

    Merci pour l’article qui me parait assez intéressant mais hélas pas assez clair et énonce des concepts assez contradictoires puisque évoque certains « angles morts » juridiques :

    1. La définition de Dalloz est trop sommaire, et s’agissant de l’amnistie, qui relève d’un acte davantage politique que juridique » (autrement dit, d’abord politique, ensuite juridique), il faudrait plutôt expliquer la notion de l’amnistie sous l’angle politique duquel elle est issu et par lequel elle exprime réellement sa raison d’être.

    2. L’amnistie « ne requiert pas toujours » un jugement. Bien sûr dans le concept politique et juridique du temps « moderne », l’amnistie relève bien sûr des lois et se prononce par rapport à des jugements (Ex : amnistie pour les contraventions routières, délits etc.). Or, cela n’a pas toujours été le cas (loin s’en faut) - notamment lorsqu’il s’agit des crimes liés à des conflits politiques - et ignorer cela pourrait relever de la mauvaise foi, et, pire, du déni, ou, tout au moins de l’ignorance. Pour preuve, Il faut se référer aux lois d’amnisties ci-dessus relatées et pour lesquelles, l’auteure de l’article avait bien mentionné que : « Ce que l’on ne trouvera pas dans ces diverses lois est la liste des bénéficiaires de cette amnistie ». C’est une preuve patente pour dire que les « amnistiés » ne sont pas « forcément » des personnes « déjà jugées ou déjà condamnées ».

    On le trouve dans d’autres cieux comme « l’amnistie générale » au Chili de Pinochet. Pareillement, pour pouvoir bénéficier de l’amnistie en Afrique Du Sud, selon le concept de « vérité et réconciliation », les personnes « amnistiées » n’étaient pas forcément des « gens déjà jugés ni condamnés » mais au contraire des hommes, essentiellement des oppresseurs blancs au pouvoir du temps de l’apartheid qui n’ont jamais été jugés ni condamnés. Surtout encore que le concept de « Vérité et réconciliation » a toujours primer « la vérité » sur la notion de « Justice » pour que « l’acceptation de la vérité » (énoncée par les victimes) par les prétendus accusés qui donneraient à ceux-ci leur droit d’être amnistié si tant est que leurs délits ou crimes ne soient pas trop graves.

    Ceci étant, Je préfère l’éclaircissement suivant tiré de wikipédia pour mieux assimiler la notion : « Des clauses d’amnistie se trouvent depuis l’Antiquité dans tous les traités de paix qui concluent une guerre étrangère et depuis le Moyen Âge dans tous les édits de pacification qui terminent une guerre civile. Elles ont pour objet, une fois le règlement du conflit terminé, d’empêcher que la recherche de nouveaux griefs ne rallument les hostilités entre les belligérants. L’amnistie n’englobe jamais la sanction des troupes régulières par les autorités militaires dont elles dépendent. C’est une mesure d’apaisement à la fin d’un conflit. »

    3. C’est inadmissible aussi de se livrer à la paresse intellectuelle (dont sont friands nos journalistes, nos juristes, et bien sûrs nos politiciens en matière d’amnistie) qui admette dangereusement et injustement l’idée selon laquelle « tous ceux qui ont été condamnés ne seront donc pas forcément éligibles ». Si une notion « d’automaticité » lie généralement les condamnations avec la perte de droit civique et politique, il ne faut cependant pas oublier que « des exceptions » existent tout autant, surtout encore lorsque, la hiérarchie des normes oblige, d’autres juridictions supérieures l’attestent, c’est-à-dire une juridiction qui ne nie ni n’annule la condamnation établie mais qui nie et annule solennellement la perte de droit civique et politique qui l’accompagne. Donc, « être condamné » ne signifie pas forcément « être inéligible ».

    Il faut alors, je pense, ne pas oublier l’essence de l’amnistie (pas seulement en tant que Loi, mais d’abord en tant que « solution politique »), comme définie originellement, en tant que « mesure d’apaisement », « régler un conflit politique » plutôt que de s’arc-bouter à la notion de la simple « impunité » dans sa nature absolument relative.

    Fort de cette définition, Il ne faut pas non plus penser que l’amnistie concerne simplement les politiciens, les hommes en armes…les journalistes aussi en sont concernés car s’il faut se rappeler du cas de Rwanda, le Tribunal institué à cet effet a bien démontré que « les journalistes Rwandais » ont « plus tué » que les militaires ou politiciens du fait de leurs écrits faisant l’apologie de meurtre, de division et de haine, qu’elle soit faite de façon subtile ou cruelle.

    Lors de la crise de 2002, aucun membre du clan de Ravalomanana n’a été condamné alors qu’ils ont commis des crimes graves. Une situation qui a favorisé la « justice des vainqueurs » source de toutes les condamnations que « l’amnistie » que nous parlons devrait effacer.

    Alors, ne parlons pas d’impunité si nous ne savons pas de quoi s’agit-elle. Ne confondons pas « Justice » et « Justice des vainqueurs ». Valider cette dernière signifie, ni plus ni moins, valider « l’injustice ». Ne jugeons pas à travers les « condamnations prononcées » si nous voulons être objectifs et « juste » envers nous-mêmes, mais tâchons aussi de faire un effort de discerner le contexte dans lequel ces condamnations ont été faites.

    Si nous voulons lutter contre « l’impunité », il ne faut pas simplement se vanter d’avoir le talent d’embrasser et d’épouser le juridisme étincelant ou la capacité de pouvoir enfanter des condamnations, commençons d’abord par fonder une société « épanouie » où la division entre les peuples n’existe pas, où la démocratie soit érigée en principe de gouvernance ; bâtir un contre pouvoir efficace, fuir le juridisme bancal (Ex : 2 investitures en un an, harcèlement judiciaire contre des adversaires politiques)…tout ceci afin de prévenir tout conflit politique.

    Car tant qu’on a des conflits politiques, on fera toujours appel à la mesure d’amnistie seule à même de les régler. Tant qu’on en décide pas de construire sérieusement notre Nation pour faire de celle-ci l’incarnation de l’Etat de droit soucieux de l’intérêt général, l’impunité aura toujours de beau jour devant lui.

    • 17 décembre 2011 à 21:50 | NY OMALY NO MIVERINA (#1059) répond à Tojo

      Ainsi conformément à ces principes et définitions, et selon les dispositions de nos « parlementaires » (C.T. et C.S.T.), la procédure va être longue. C’est pas demain la veille !

      Au cas particulier, Ravalomanana peut bénéficier de l’amnistie politique (et encore ...) et non de l’amnistie juridique en plus de ses problèmes fiscaux. Donc il n’est pas près de rentrer ...

      Andraso eo i Dada !!!

    • 18 décembre 2011 à 06:42 | Sahondra Rabenarivo (#6253) répond à Tojo

      Merci beaucoup Tojo pour ce commentaire, qui enrichit vraiment beaucoup la compréhension du sujet, et nous rappelle en fait l’intention plutôt « à posteriori » de l’amnistie (apaisement entre personnes auparavant en guerre et cherchant la paix) plutôt qu’ « à priori » (blanchiment avant de se porter candidat). Je suppose que c’est ce que j’essayai quelque part de dire avec les exemples d’amnistie passés, non liés à des élections futures, mais vous l’exprimez beaucoup plus clairement.
      Sahondra

    • 18 décembre 2011 à 10:03 | el che (#344) répond à Tojo

      « On confond également amnistie avec le terme impunité, qui se réfère à un crime laissé impuni, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, même pas jugé. L’amnistie requiert un jugement : la peine prononcée est « effacée » » (TOJO).

      Un justicable non encore jugé pendant la période couverte par l’amnistie bénéficie de ladite l’amnistie. Sont inclus les procès en suspend, ainsi que les délits constatés à posteriori.

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