Ayant constaté que ses premières sorties contre la communauté karana en général avaient provoqué une levée de boucliers, l’influenceur Farnco-vietnamien Dylan Siva a très intelligemment réorienté sa campagne de communication pour s’attaquer plus précisément au dossier des fournisseurs de carburant de la Jirama, en se basant sur les données d’un rapport de la Cour des Comptes. Cela fait donc un traitement de dossier qui semble très sérieux, basé sur des faits et étayés par des chiffres : de quoi influencer les influençables. Seul hic : ce rapport était public depuis le 28 novembre 2024 sur le site internet de l’institution, et Dylan Siva n’a donc fait qu’enfoncer une porte ouverte. Ses pseudo- révélations sur la Jirama n’apportent donc aucun élément nouveau sur des informations disponibles depuis 2024.
Il y a toutefois un fait qui doit interpeller. Pourquoi les problèmes de gouvernance de la Jirama en général, et le contenu de ce rapport de la Cour des Comptes en particulier, n’ont-ils jamais fait le buzz comme maintenant ? La Cour des Comptes a été une des rares institutions de contrôle à avoir courageusement effectué son travail sous Rajoelina, et a pris des risques réel. Malheureusement, ses rapports ont généré bien peu d’intérêt à l’époque, y compris celui sur les malversations des fonds de lutte contre la Covid-19. Quelques médias, organisations de la société civile et lanceurs d’alerte malgaches ont bien essayé de tirer la sonnette d’alarme dans un contexte dangereux, et n’ont pas attendu 2025. Malheureusement, sans aucune écoute ou intérêt auprès de l’État ou du public.
En décembre 2014, le mouvement Wake Up Madagascar avait organisé un rassemblement pacifique de protestation contre les services de la Jirama. Seules quelques dizaines de personnes avait répondu présent. En 2022, l’association de journalistes Malina (Transparency International Initiative Madagascar) avait publié une série pour parler des aspects de corruption au sein de la Jirama. La vidéo correspondante n’a obtenu que 3200 vues sur YouTube. Est-ce un manque d’intérêt envers le sujet, ce qui serait difficile à croire, ou bien des lacunes dans la capacité de communication ? Il y a quelques éléments de réponse que l’on peut donner.
Comment Siva ? Comme-ci, comme-ci, comme ça...
D’abord, ceux qui évoquent ces problèmes aujourd’hui le font dans un contexte extrêmement favorable, car les autorités actuelles n’y font aucune objection, bien au contraire. Alors que sous Rajoelina toute exploitation d’information négative pour le pouvoir pouvait se traduire en gagazo, actuellement pointer du doigt les insuffisances de la Jirama arrange tous ceux qui souhaitent renforcer la délégitimation de Rajoelina et sa clique. Dylan Siva fait donc figure de courageux zorro, mais sur un terrain aplani de tout risque, même si pour faire l’intéressant, il évoque souvent qu’il se met en danger en traitant tel ou tel dossier. Simple manœuvre rhétorique sans aucune réalité derrière.
Il y a probablement des intérêts puissants et généreux derrière lui, ce qui explique qu’il ait porte ouverte chez les autorités actuelles, car son manège arrange beaucoup de monde. La question est donc directe : qu’est-ce qui fait courir ces influenceurs qui animent la vague anti-karana depuis quelques semaines ? Faut-il regarder du côté de ceux qui aimeraient bien obtenir la rupture des juteux contrats actuels de fourniture de carburant pour en devenir les nouveaux acteurs ?
En outre, Dylan Siva a incontestablement de multiples talents dans le domaine de la communication. Celui de lire les situations pour identifier les failles de la mentalité des influençables pour apparaître en héros justicier. Celui d’exploiter des réseaux politiques influents et se faire recevoir à gauche et à droite pour se donner une image de personnalité importante dans le paysage médiatique malgache. Celui de ne pas s’embarrasser de scrupules pour créer la confusion, du style écrire « En direct des Nations unies » dans une publication, pour faire croire aux influençables que sa démarche contre Yas est soutenue par l’ONU (photo). Celui de développer un narratif pour apparaître comme un héros désintéressé, alors que la récente affaire du billet de Ralisy [1] a révélé comment il a essayé d’utiliser une situation pour sa gloriole personnelle sous couvert d’humanisme. Le problème, c’est que les Malgaches connaissent par coeur ce genre de comportement : il y a quelques mois, on appelait cela le werawera, et le champion était sixième dan.
En termes d’audience, on note que Dylan Siva n’est pas si important que cela avec ses 270k followers, ce qui le place assez loin des top influenceurs malgaches tels que Bob Tobias (703k followers), Vonjy Razafitsifa (766k followers), Antso Bomaka (774k followers), LorahGasy (490k followers), ou Fitiavana Mickael (460k followers). Mais contrairement à Ikoto Lilahimahitsoambo (344k followers) ou Fanirisoa Ernaivo (283k followers), les influenceurs basés à Madagascar ne se sont pas vraiment investis dans la niche politique, même si les mouvements de la Gen Z ont ultérieurement fait apparaître le rôle pris par quelques-uns d’entre eux dans la mobilisation des jeunes. Ont-ils fait cela par amour de la patrie, ou bien à l’appel de commanditaires en coulisses au moment où se préparait le mouvement de la Gen Z et ce qui allait suivre ?
Un filon économique
Le phénomène de l’influenceur a d’abord été une innovation dans le domaine du marketing. De là est né un système de placement de produits divers pour fructifier le capital-notoriété de ces personnalités du monde digital. Aux côtés de ceux qui se cantonnent dans le secteur marketing, d’autres se mettent au service d’intérêts politiques et économiques sous couvert de la noblesse d’action. Si on sait quels sont les « sponsors » des influenceurs utilisés par les marques commerciales (comme Tap Tap Send ou Yas), l’identité de ceux des influenceurs politiques est plus opaque.
Il y a donc un filon économique qui s’est créé, et les influenceurs font feu de tout bois pour développer leur audience, car plus il y a de followers affichés, plus les entreprises et sponsors sont attirés pour monter des collaborations. Malheureusement, ce n’est pas toujours la qualité du contenu qui va attirer l’audience. Des influenceurs n’hésitent pas à racoler à n’importe quel prix, sous prétexte que la liberté d’expression avec liberté absolue, posture de ceux qui n’ont pas fait beaucoup d’études. Conséquence : des dérapages sous forme d’accusations gratuites, d’escroqueries, de diffamation, de propos grossiers, et de vulgarité assumée. La France a été un des premiers pays à légiférer pour tenter de mettre des balises aux influenceurs. Madagascar osera-t-elle prendre action, ou se contentera-t-elle de les laisser faire, à condition de ne pas porter ombrage aux dirigeants actuels.
Nous n’avons rien contre les influenceurs, mais nous réprouvons certaines méthodes. Depuis mars 2023, nous écrivons dans ces colonnes pour tenter de donner de la valeur au sens critique, et malgré les risques, nous avons clairement fait du journalisme engagé pour nous dresser face à Rajoelina. Il n’y avait pas de dignité à faire le gobetout à coups de « merci prezidà, bravo prezidà » sous lui. Il n’y en a pas à faire aujourd’hui « merci Dylan, bravo Dylan » sans (se) poser les bonnes questions. On nous a fait croire sous Rajoelina que critiquer, c’est être anti patriote, être payé par quelqu’un, ou faire preuve de jalousie. Avec le départ en exil du DJ et l’ère de la refondation, on doit avoir le bon sens de tirer la chasse sur ce genre de raisonnements.





