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Tribune libre

Lettre des lecteurs

Malgachisation de l’enseignement…

vendredi 11 juillet 2008

« Pour avoir plaidé, dans nos écrits et nos propos depuis des années voire depuis plus d’une décennie, la nécessité de faire, de la langue malgache, la langue d’enseignement dans nos écoles, nous ne pouvons qu’exprimer notre profonde satisfaction de voir enfin la consécration officielle de nos souhaits.
Nous saisissons aussi l’occasion pour chaleureusement approuver cette décision fondamentale qui conditionne l’avenir de nos enfants et, partant, celui du pays.

Il ne faut pourtant pas se leurrer. Cette décision que l’on ne pouvait plus éviter se heurtera à des oppositions passionnées, passionnelles qu’il convient de désamorcer par un mode opératoire rationnel, adapté à notre conjoncture.

- Une décision fondamentale et inévitable

Commentant un article sur « Les causes de échecs scolaires , nous écrivions en mai 2005 : « Quand l’échec est la norme le succès un heureux hasard » :

Le sujet (… les échecs scolaires) est d’importance et conditionne l’avenir du pays. En effet, sur, grosso modo, 850.000 élèves qui entrent en T1, 30.000 environ réussissent au baccalauréat après une scolarité de 12 ou 13 ans.

En pourcentage, 3,5 % de la population scolaire parviennent à franchir le cursus scolaire normal tandis que les 96,5 %, c’est-à-dire l’énorme majorité connaissent un cuisant échec. On peut, sans exagérer, formuler l’évidence suivante : à Madagascar, l’échec scolaire est la norme et le succès un heureux hasard…

Cette proportion monumentale d’échecs représente non seulement un gaspillage humain qui explique, dans une large mesure, notre pauvreté et notre stagnation dans tous les domaines, mais elle a aussi un coût économique et financier prohibitif et difficile à évaluer.

Pour donner une idée approximative de ce coût, imaginons une société qui ferait 3,5 ariary de chiffre d’affaires pour 100 ariary engagés : ce ne serait même plus une association caritative à but non lucratif mais un véritable tonneau des Danaïdes.

« Les échecs scolaires sont certainement la pire catastrophe nationale que subit le pays depuis des décennies… »

Dès le mois de février 1997, nous avions rédigé un opuscule en malgache publié, in extenso, en septembre 2004 dans lequel nous nous demandions si

« Nous pourrions encore nous en sortir ».

Nous posions à l’époque, en ces termes (traduction libre) la problématique de l’enseignement en langue nationale :

« … Jamais les 15.000.000 de Malgaches n’arriveront à comprendre et à parler couramment une langue étrangère. Et ceux qui, pour avoir suivi l’enseignement primaire,
auront une légère imprégnation de cette langue ne tarderont pas à l’oublier parce qu’ils ne la parlent pas à la maison.

Pis, une grande partie de la population souffrira de « diglossie »… et comme nous en sommes tous victimes, nous transmettrons cette tare à nos enfants qui, eux-mêmes… et, dans moins d’un siècle, la langue malgache sera une langue morte…

Il faut donc faire, de l’enseignement en malgache, une priorité nationale …. »

Il faudra pourtant s’attendre à une opposition passionnée et passionnelle...

Il faut éviter de rencontrer, comme en 1975, de farouches résistances.
N’oublions pas que la malgachisation de l’enseignement, décidée en dépit du bon sens par la politique nationale-socialiste de Ratsiraka a été, à l’époque, une grosse pomme de discorde, un instrument utilisé par tous les adversaires de l’unité nationale pour semer des troubles qui ont failli conduire à l’implosion de Madagascar.

Deux arguments ont été utilisés qui, n’en doutons pas, seront, aujourd’hui encore, repris ad nauseam par les opposants actuels :

A) - malgachisation signifie merinisation de l’enseignement et, par voie de conséquence, perpétuation du « retard intellectuel » des Malgaches de la périphérie

B) - la langue malgache ne dispose pas de suffisamment de vocables pour exprimer la modernité

A) - Nous n’insisterons pas sur cet argument récurrent d’autant que, n’étant pas linguiste, nous sommes peu qualifié pour exprimer une opinion indiscutable. Nous nous permettrons de remarquer néanmoins que tous les spécialistes, qui ont étudié à fond la langue malgache, sont unanimes pour reconnaître son unité avec des variétés dialectales qui, en aucun cas, ne sont de nature à démentir cette unité.

Et tout compte fait, si au pis merinisation il doit y avoir, ne vaut-il pas mieux entendre parler le merina plutôt que d’entendre des phrases du genre « Ianareo zalahy à huit heures dia mi- komensy misirkulé an-davily », sabir ni malgache , ni français parlé aujourd’hui dans certaines régions.

B) - Une langue, comme toute chose vivante, doit être entretenue, enrichie sinon elle s’atrophie et finit par mourir. L’échec de la malgachisation mal pensée, mal exécutée de 1975 a totalement discrédité la langue malgache comme le prouve actuellement le succès époustouflant des « écoles d’expression française »..

Et pourtant cette langue a pu traduire la Bible. Et des grands écrivains, comme Rabearivelo et Dox, ont, sans les trahir, traduit des écrivains étrangers.

Les dictionnaires Malgache- Français, Français- Malgache, édités en 1853 à l’Ile Bourbon par le « Missionnaires catholiques de Madagascar n’ont, du point de vue de leur richesse, rien à envier au Larousse ou au Littré de l’époque.

La langue malgache s’est appauvrie parce qu’elle a été reléguée au second plan et rien ne l’empêche, s’il y a une volonté politique et nationale, de retrouver son rang et un nouvel épanouissement.

L’Islande, qui compte à peine un million d’habitants, utilise l’islandais comme langue d’enseignement. (1). Pourquoi le malgache n’occuperait-il pas la première place dans nos écoles et, qui sait, dans tous nos documents administratifs et juridiques : on attend maintenant l’équivalent malgache de l’Ordonnance de Villers-Cotterets.…

… Aussi faut-il « se hâter lentement » et adopter une vraie méthode.
La moindre erreur commise par les responsables sera exploitée à fond par les adversaires de la réforme et un échec de ce programme signifierait l’enterrement définitif de tout projet de faire, de la langue malgache, une langue vivante. Ainsi, préconisons- nous une application « Progressive et méthodique de la réforme ».

La malgachisation serait, en effet, aujourd’hui effective à tous les niveaux si, en 1975, dans leur imbécillité intéressée, les gouvernants de l’époque n’avaient pas brûlé les étapes. Il y a donc lieu d’adopter la méthode enseignée dans toutes les écoles d’organisation du travail et de se poser les questions suivantes :

- Dans quel but ? Pour qui ? Où ? Comment ? Et quand ?

Les réponses aux deux premières interrogations vont d’elles-mêmes : malgachisation de la langue d’enseignement pour les écoliers malgaches.
Peuvent en revanche faire graves problèmes les points pour où ? comment ? et quand ?

- Où ? Faut-il l’appliquer à de nombreuses écoles ou serait-il préférable, pour bien débusquer et maîtriser les problèmes, de commencer par deux ou trois « écoles- et classes témoins » et, en cas de succès, étendre la réforme en fonction du nombre de maîtres formés et des ouvrages scolaires édités ;

- Comment et Quand ? Faut-il, d’entrée de jeu, étendre la réforme à toutes les classes primaires même si le nombre de « classes témoins » est limité ?

A notre sens ce serait une erreur méthodologique dans la mesure où les élèves connaîtront, même à partir de T1, un chevauchement des programmes.

Comme en 1975, les enfants seront pris entre deux feux et risquent de ne guère profiter de leur scolarité. Mieux vaut, en conséquence, n’appliquer, au départ, la réforme que pour les élèves de T1 et, éventuellement deT2 et T3. Ainsi aucun régime « transitoire », toujours pernicieux, ne perturbera la scolarité des enfants.

Le calendrier d’application pourrait se présenter ainsi :

1ére année : T1et T2
2è année : T1, T2, T3… etc

Ces propositions paraîtront timorées aux yeux des prosélytes mais, s’agissant de la formation de notre « capital humain », il vaut mieux se hâter lentement et réussir plutôt que de tout gâcher par une hâte intempestive.

Au risque de nous répéter nous sommes certain que si cette lente et rationnelle progression avait été appliquée en 1975, même l’enseignement supérieur serait aujourd’hui entièrement malgachisé.

« A trop embrasser, on risqué inévitablement de mal étreindre »
Pour conclure.

Une malgachisation de l’enseignement sera, pour le pays, une véritable révolution car elle marquera certainement le début d’une (re)naissance de la Nation malgache.

Elle ne résoudra certes pas tous les problèmes qu’affronte notre jeunesse car il faudra encore songer aux problèmes de l’échec scolaire et des passerelles à instituer pour y remédier, à ceux de l’enseignement supérieur, à une politique nationale du livre, de la traduction et de l’édition….

Mais le pas le plus difficile aura été franchi et l’avenir peut maintenant être envisagé avec un certain optimisme. Ce sera une œuvre nationale de longue haleine qui doit mobiliser toutes le forces vives du pays et ne doit pas être le monopole des seuls enseignants.

(1)- Un Islandais, H.K. Laxness a même eu le prix Nobel de Littérature en 1955.

Pierre Ranjeva.

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