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samedi 28 juin 2025
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L’État en trompe-l’œil : quand la structure institutionnelle organise l’impuissance

samedi 28 juin |  194 visites  | 1 commentaire 

Par un matin ordinaire, les murs de la République malgache se dressent avec majesté. Gouverneurs, députés, sénateurs, juges, institutions spécialisées… tout semble en place. Mais à y regarder de plus près, ces murs sonnent creux. À Madagascar, l’État existe, mais ne fonctionne pas. Ou plutôt, il fonctionne pour ne pas fonctionner.

Le schéma de la République : un édifice institutionnel bien pensé

L’architecture institutionnelle de Madagascar repose sur quatre niveaux hiérarchisés : les communes (1 ?693 environ), les régions (25 depuis 2023), les provinces (6 restantes), et l’État central. À chaque étage, la Constitution prévoit des organes délibératifs (assemblées) et des chefs exécutifs élus.

Au sommet, l’Assemblée nationale (163 députés) et le Sénat (18 membres) représentent le pouvoir législatif. La Haute Cour Constitutionnelle veille sur les normes. Le gouvernement, avec à sa tête un président omniprésent, incarne l’exécutif. Et un réseau d’agences spécialisées (CSI, Bianco, PAC) est censé garantir l’intégrité de la République.

Un schéma cohérent. Une promesse de démocratie. Mais la réalité n’a pas suivi.

Héritage français : une Constitution taillée pour le déséquilibre

Lorsque Madagascar accède à l’indépendance en 1960, elle hérite, sans adaptation profonde, de la Constitution de la Cinquième République française. Ce modèle, conçu pour répondre à une crise de régime en France, repose sur une concentration assumée du pouvoir exécutif entre les mains du président. Importée sans contrepoids dans un jeune État sans tradition démocratique consolidée, cette architecture a généré dès l’origine un déséquilibre fatal.

Le président y dispose d’un pouvoir quasi absolu : il nomme le Premier ministre, peut dissoudre l’Assemblée, contrôle la nomination des chefs de région, oriente les juridictions suprêmes, et détient la clef des institutions indépendantes. Dans un contexte malgache où l’État de droit est fragile, cette organisation a rendu impossible l’émergence d’un véritable parlementarisme, et a encouragé la subordination de la justice comme des collectivités territoriales.

En somme, Madagascar n’a pas seulement hérité d’un texte juridique. Elle a hérité d’un imaginaire politique vertical, où l’exécutif est le tout et les contre-pouvoirs sont décoratifs. Une Constitution faite pour protéger la stabilité d’un État fort est devenue, ici, le moteur d’un pouvoir verrouillé.

Une mécanique volontairement grippée

« Tout est là, mais rien ne fonctionne », résume Brice Lejamble [1] dans son interview [2], ancien secrétaire général du Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité (CSI). Dans un entretien sans filtre, il décrit une République habillée de normes, mais rongée par une pratique de la captation. La Constitution prévoit des gouverneurs élus ? Tous sont nommés. Une Assemblée régionale devait exister dans chaque région ? Jamais constituée. La loi sur l’accès à l’information est discutée depuis 15 ans ? Jamais votée. Et la Haute Cour de Justice, pourtant clé pour poursuivre les ministres, reste un projet fantôme.

Les députés,163 au total, vivent pour la plupart à Antananarivo. Ils ne contrôlent pas l’action gouvernementale, ne défendent pas leur territoire, ne s’érigent pas en défenseurs de la décentralisation. « Aucun ne demande pourquoi le chef de région n’est pas élu », s’étonne Lejamble. Ils se contentent de leur immunité et d’un mandat qu’ils n’exercent pas.

L’exemple Romy Voos : la grande démonstration d’impuissance

Romy Voos, ancienne directrice de cabinet du Président de la République, a été reconnue coupable de corruption par un tribunal londonien. Peine purgée. Dossier clos. À Londres.

Mais à Madagascar ? Aucun signalement, aucune enquête du Bianco. Aucun débat parlementaire. Silence radio. Pourtant, comme le rappelle Brice Lejamble, les faits concernaient directement la présidence. Et donc, potentiellement, des complicités locales.

Quand les juges attendent les ordres

La justice malgache fonctionne sur une anomalie : les juges obéissent aux procureurs. Et les procureurs, au gouvernement.

« C’est une inversion complète de la hiérarchie judiciaire », s’indigne Lejamble.

La Haute Cour de Justice, seule habilitée à juger les ministres, n’est toujours pas mise en œuvre. Treize ministres font l’objet de dossiers dormants. L’Assemblée nationale, qui doit autoriser les poursuites, refuse même d’en débattre.

ICECAP : sous l’iceberg des institutions, l’État captif

L’analyse ICECAP (Iceberg Causal Analysis Protocol) illustre le décalage entre ce qui est visible, l’inaction, les blocages, et ce qui est invisible : la captation des institutions, la subordination des juges, le verrouillage des textes.

Partie visible (symptômes) Partie invisible (causes systémiques)
– Aucun haut responsable condamné pour corruption – Blocage de la Haute Cour de Justice
– Gouverneurs nommés malgré la Constitution – Refus d’appliquer la décentralisation réelle
– Loi sur l’accès à l’information bloquée depuis 15 ans – Volonté de maintenir l’opacité sur les actes de l’État
– Bianco et PAC inefficaces – Neutralisation législative des organes de contrôle
– Juges passifs ou aux ordres du procureur – Subordination hiérarchique contraire à l’indépendance judiciaire
– Députés absents de leur circonscription – Déconnexion volontaire du parlement avec les territoires
– Structures locales de concertation inexistantes – Mise en scène d’une participation citoyenne fictive
– Pas d’enquête sur des affaires internationales (ex : Romy Andrianarisoa) – Connivence entre hautes sphères du pouvoir et complicité institutionnelle
– Jeunesse désabusée, exode croissant – Échec de l’État à remplir ses promesses fondamentales de développement

Résumé

Élément visible Cause invisible profonde
Aucune condamnation de ministre Nécessité de l’accord parlementaire
Chefs de région nommés Refus de mise en œuvre de la Constitution
Institutions existantes mais stériles Sabotage interne et dépendance exécutive
Absence de loi sur les lanceurs d’alerte Volonté d’empêcher la transparence

Source primaire des dysfonctionnements (par ICECAP)

Catégorie Présente dans ce cas ? Exemples
Choix de gouvernance X Refus de mettre en œuvre les lois votées, chefs non élus, concentration du budget
Pression des intérêts privés X Élites protégées, verrouillage du PAC, grandes affaires jamais traitées
Pression internationale partielle Conditionnalité floue des bailleurs, normalisation de l’inefficacité
Méconnaissance / Ignorance marginale Moins pertinente ici, car l’architecture institutionnelle est connue

Motivation humaine dominante (selon ICECAP)

Motivation Présente ? Justification
Contrôle X Les lois sont sabotées pour éviter toute perte de pouvoir
Cupidité X Le pouvoir est utilisé pour l’enrichissement, non pour le service public
Indifférence X Le sort des pauvres, des enfants malnutris, des territoires est ignoré
Résignation X Des agents comme le CSI constatent leur impuissance dans un système verrouillé
Conformisme X Les parlementaires ne défendent même pas les textes constitutionnels

Sujet déclencheur (mécanisme structurel profond)

Type de déclencheur Détail extrait de l’analyse
Captation opaque des institutions Refus d’appliquer les textes sur l’élection des chefs régionaux, retrait des pouvoirs du PAC
Neutralisation des contre-pouvoirs Juges dépendants, Bianco sans marge de manœuvre, CSI rattaché à la présidence
Centralisation budgétaire extrême Plus de 90 % du budget consommé à Tana, absence de moyens pour les communes/régions
Démobilisation citoyenne Population désabusée, jeunesse en fuite, déconnexion avec les députés
Opacité législative organisée Pas de loi sur l’accès à l’information, ni sur les lanceurs d’alerte

L’État malgache est structurellement conçu pour empêcher la redevabilité, malgré une architecture institutionnelle apparemment démocratique et décentralisée.

Le système, tel que décrit dans l’entretien, est formellement républicain, mais fonctionnellement verrouillé par une minorité dominante qui s’appuie sur l’opacité, l’inaction parlementaire, et l’instrumentalisation des lois.

La source dominante est un choix de gouvernance fondé sur le contrôle, la cupidité et l’indifférence. Le sujet déclencheur : la captation opaque des institutions.

Les députés : élus pour quoi ?

« Aucun député n’a jamais interpellé le gouvernement sur l’absence d’élections régionales », déplore Lejamble. La plupart résident à Antananarivo. Rares sont ceux qui retournent dans leur circonscription. Pire : ils ne réclament ni budget, ni pouvoir, ni transparence.

Ils incarnent le symptôme d’un parlement domestiqué. Un parlement dont l’immunité est utilisée pour protéger, non pour revendiquer.

Une société civile sans relais

Le CSI, rattaché à la présidence, devait jouer un rôle stratégique. Mais son influence est limitée. Il ne peut ni enquêter, ni poursuivre. Et lorsqu’il tente d’alerter, il se retrouve « entre le marteau et l’enclume », selon les mots de son ancien dirigeant.

La société civile, les intellectuels, les églises jouent un rôle. Mais ils n’ont ni réseau institutionnel, ni appui parlementaire. Et la jeunesse, souvent lucide, préfère fuir que se battre.

« Il faut recréer des espaces de confiance, des groupes de parole, des lieux d’information. »

Une République contre son peuple

À Madagascar, l’impuissance est fabriquée. Ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité. Le système produit une illusion de légalité. Il fonctionne non pas pour réprimer, mais pour retarder, diluer, paralyser.

  • La loi existe, mais ne s’applique pas.
  • L’élu est là, mais ne rend pas compte.
  • Le tribunal est ouvert, mais ne juge pas.

Et l’État, au lieu de protéger, prélève.

Et maintenant ? Réveiller la Nation

Il ne reste que les citoyens. Ceux qui s’expriment. Ceux qui votent. Ceux qui dénoncent. Même dans un système verrouillé, voter reste un acte politique. Réclamer le droit de savoir. Réclamer l’application des lois existantes. Protéger les lanceurs d’alerte.

« On ne fera pas bouger les élites si la base reste silencieuse. »

Le changement ne viendra pas d’une réforme technique. Il viendra d’un sursaut collectif.

Leçon pour l’Afrique

Madagascar n’est pas une exception. Le même théâtre institutionnel se joue ailleurs : des constitutions progressistes… sans mise en œuvre ; des agences de transparence… sans dossiers ; des élus… sans comptes à rendre.

Mais Madagascar pousse la logique à l’extrême. L’État ne se contente pas de faillir. Il organise son échec.

Le mot de la fin

« Il faut reconstruire la Nation. Elle a été éclatée, réduite au silence. »
Brice Lejamble

Le plus grand défi n’est pas d’élire de nouveaux dirigeants. C’est de refonder un lien de confiance entre l’État et ses citoyens. De rendre à la loi sa force. Au vote sa valeur. À la jeunesse son rôle.

La République existe. Mais elle attend encore ses citoyens.

Rédaction – Diapason

1 commentaire

Vos commentaires

  • 28 juin à 10:21 | RATOVO (#10503)

    On répète , on insiste , on persiste , et on signe : un changement de régime est inéluctable sinon laisser Rainilainga agir à sa guise est suicidaire pour ce pays . C’est un état - voyou . la réalité socio-économique est loin d’être reluisante avec cette pauvreté multidimensionnelle et aucune perspective d’avenir à espérer avec ce président Français de Madagascar , une anomalie monumentale en ce jour des 65 ans d’indépendance . Et donc une question revient dans toutes les conversations : Madagascar est-il réellement indépendant ? Une indépendance de façade ? Si la souveraineté nationale est inscrite dans la Constitution, son application réelle suscite des doutes, notamment dans un contexte où l’État de droit, la transparence et la redevabilité du pouvoir sont régulièrement remis en cause.
    Mais 65 ans plus tard, que reste-t-il de cette souveraineté ? Les décisions publiques semblent de plus en plus déconnectées de la volonté populaire. Dans ce contexte de pauvreté généralisée avec plus de 80 % de la population vit avec moins de 2 .15 dollars par jour, des célébrations fastueuses suscitent l’incompréhension. On amuse le peuple pendant que les ressources sont dilapidées essentiellement par un oligarque mafieux attitré au palais ! Les dépenses engagées pour les festivités contrastent crûment avec l’état des infrastructures de base : hôpitaux sous-équipés, routes délabrées, établissements scolaires précaires. L’écart entre les moyens mobilisés pour la fête et les réalités quotidiennes alimente un sentiment d’injustice.
    L’accusation d’un style de gouvernance autoritaire, voire féodal, revient régulièrement. Le régime actuel évoque davantage une monarchie autoritaire qu’un État de droit. Le cas précis du fils de Rainilainga Arena est troublant . L’État, confondu avec la personne du chef, fonctionne au bon vouloir d’un seul homme. La loi, c’est lui. Récemment avec les 100 millions de dollars de la banque Mondiale détournés pour des parcs solaires ( sic ) . Les contre-pouvoirs sont réduits au silence, les institutions affaiblies, les journalistes menacés, et les opposants diabolisés. Dans de nombreux dossiers, la parole présidentielle fait office de loi, et les décisions majeures sont prises dans l’opacité. Aucune réforme structurelle à ce jour . Les investissements étrangers directs sont aux abonnés absents . Une vraie indépendance ne se fête pas : elle se vit mais surtout pas avec une armée servile piétinant la souveraineté nationale avec un chef suprême VAZAHA TARATASY . Malheureusement la présence de cet autocrate populiste et mégalomane est un accident historique regrettable ayant des conséquences désastreuses incommensurables pour l’avenir de ce pays .

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