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samedi 8 novembre 2025
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L’Afrique et ses transitions

samedi 8 novembre |  192 visites  | 1 commentaire 

Introduction

Dans l’Afrique des années 2020, le mot transition est devenu familier. Il désigne un entre-deux où le pouvoir change de costume sans toujours changer de nature. Les chefs de transition se déclarent civils, ils s’installent dans la durée, et les promesses de refondation se dissolvent dans la gestion des privilèges. À Madagascar comme ailleurs, la question centrale est simple. Comment éviter que chaque élan populaire se transforme en recyclage du système. La grille du Piège Népal [1] aide à comprendre cette dérive. Une révolution sincère devient captation institutionnelle lorsqu’elle n’est pas protégée par le droit, la transparence et la reddition de comptes.

Transitions militaires en Afrique de 2020 à 2025

Au Gabon, le général Oligui Nguema a organisé sa propre élection après dix-huit mois de transition.

En Guinée, la junte au pouvoir depuis 2021 repousse les élections et judiciarise la critique.

Au Mali et au Niger, la priorité sécuritaire remplace le calendrier politique.

Au Burkina Faso, les enlèvements d’activistes et de journalistes ponctuent un régime justifié par la guerre.

Partout, la même mécanique se met en place. Promesse de restauration, puis consolidation autoritaire, puis normalisation de l’exception.

Madagascar dans le miroir continental

En octobre 2025, le mouvement Génération Z, né autour de l’eau et de l’électricité, a ouvert une séquence inédite. Démission du gouvernement civil, intervention de la CAPSAT, investiture d’un colonel au nom de la refondation. Promesse d’une transition de dix-huit à vingt-quatre mois. Suspension par l’Union africaine. Méfiance des bailleurs. Centralisation du pouvoir à la Présidence.

Quatre risques dominent selon nos travaux.

  1. Civilianisation du chef de transition. Probabilité à douze mois estimés à 80%.
  2. Glissement calendaire. Probabilité à douze mois estimés à 75%.
  3. Réduction de l’espace civique. Probabilité à douze mois estimés à 80%.
  4. Captation institutionnelle durable. Probabilité à douze mois estimés à 90%.

Le scénario dominant est une civilianisation contrôlée. La transition devient un régime militaire administratif avec façade civile.

Le piège Népal

Le dossier Népal de Diapason décrit une mécanique en neuf temps. Soulèvement populaire, euphorie, arbitrage armé, bataille de perception, reconfiguration du droit et des calendriers, prolongation, essoufflement, normalisation de l’exception, recyclage du système.

Madagascar se situe entre les stades quatre et cinq. L’arbitrage armé est acté, la bataille du récit est lancée, la reconfiguration des règles s’installe. La refondation promise se superpose à un discours d’ordre. La jeunesse qui a porté la rupture risque d’en devenir le décor.

Pourquoi autant de militaires

Depuis novembre 2025, la militarisation de l’appareil d’État est manifeste. Des officiers sont placés à la sécurité intérieure, au renseignement, à la justice, à la communication et aux finances. Cette configuration ne relève plus de l’urgence. Elle traduit une volonté de durer.

Raison Objectif réel Risque associé
Contrôle de la coercition Maîtriser la rue et prévenir les contre-pouvoirs Réduction de l’espace civique
Efficacité opérationnelle Produire une image d’ordre et de rapidité Marginalisation des compétences civiles
Maîtrise de l’information Centraliser communication et renseignement Construction ’un récit officiel
Protection budgétaire Sécuriser les flux financiers sensibles Opacité des marchés publics
Préemption électorale Se placer en arbitre du futur scrutin Avantage décisif au moment des élections

La transition devient une matrice de pouvoir militarisé. La discipline remplace la redevabilité.

Ce phénomène n’est pas une singularité africaine

Des exemples existent ailleurs. La Thaïlande, les Fidji, l’Égypte ou le Pakistan ont connu la civilianisation du chef de junte et le verrouillage du jeu politique. D’autres pays ont brisé ce cycle.

Pays Période Mécanisme clé Résultat
Portugal 1974 à 1976 Nouvelle Constitution et élections rapides Démocratie consolidée
Corée du Sud 1987 à 1988 Réforme constitutionnelle et présidentielle directe Transition bouclée en un an
Chili 1988 à 1990 Plébiscite No et transfert pacifique Alternances multiples et justice transitionnelle
Ghana 1992 à 2000 Constitution puis alternance effective Stabilisation institutionnelle
Indonésie 1998 à 2002 Commission anticorruption avec tribunaux spécialisés Dissuasion et pluralisme durable
Gambie 2016 à 2017 Pression régionale crédible Sortie pacifique d’une dictature

Leur point commun est clair. Une règle du jeu écrite. Un calendrier court. Des arbitres crédibles. Des institutions anticorruption qui possèdent de réels pouvoirs.

La corruption, cœur du piège

Aucune transition n’échappe à la tentation de la rente. Les pays qui ont rompu le cycle ont traité la corruption avant la consolidation politique.

  • Portugal : confiscation rapide d’avoir illégaux et affectation à des usages publics.
  • Indonésie : commission KPK et tribunaux spécialisés.
  • Chili : loi de transparence et contrôle public des contrats.
  • Ghana : réforme des marchés publics et traçabilité des procédures.
  • Libéria : supervision externe temporaire sur les flux sensibles.
  • Gambie : commissions de vérité et de recouvrement d’avoir.

La leçon de l’histoire du monde est simple. Agir dans les cent premiers jours. Récupérer les fonds. Publier les décisions. Sanctionner les délits. Sans actes visibles, la transition devient un marché d’entre soi.

L’anti-piège corruption pour Madagascar

Cinq leviers concrets sont immédiatement mobilisables.

  1. Récupérer les avoirs : confiscation judiciaire et affectation à un Fonds d’urgence Eau et Électricité avec reporting public.
  2. Créer une agence à dents* : cellule Poursuites et Marchés adossée à une chambre spécialisée. Priorité aux marchés à haut risque.
  3. Rendre l’État transparent : transparence active obligatoire sur budgets, contrats et indicateurs de service public.
  4. Sécuriser les marchés publics : standardisation des procédures, audits trimestriels, publication systématique.
  5. Installer un filet externe limité : supervision technique partagée sur les douanes, le carburant et la JIRAMA.

* Dans le vocabulaire Diapason, une « agence à dents » désigne une institution anticorruption dotée d’un véritable pouvoir contraignant, contrairement aux organes symboliques ou consultatifs.

Définition complète

Agence à dents : organisme public indépendant disposant de prérogatives effectives d’enquête, de poursuite et de sanction, avec un accès direct à la justice et une obligation de transparence.

Caractéristiques principales

  1. Pouvoirs juridiques réels : l’agence peut ouvrir des enquêtes, convoquer, saisir, geler ou confisquer des biens.
  2. Autonomie institutionnelle : son budget et ses nominations ne dépendent pas exclusivement de l’exécutif.
  3. Chaîne judiciaire intégrée : existence de tribunaux spécialisés ou de chambres anticorruption qui traitent ses dossiers rapidement.
  4. Reporting public : publication régulière des enquêtes, condamnations et montants récupérés.
  5. Exemples de référence :
    1. KPK (Indonésie) : commission indépendante créée en 2002, modèle du genre en Asie.
    2. DCEC (Botswana) ou EFCC (Nigeria) : structures africaines ayant prouvé leur capacité à poursuivre des hauts responsables.
    3. CPIB (Singapour) : modèle historique de continuité institutionnelle et de tolérance zéro.

Application à Madagascar

Créer une agence à dents signifierait doter la transition :

  • d’une cellule Poursuites et Marchés adossée à une chambre spécialisée de la Cour.
  • d’un mandat clair : investiguer, saisir, juger et publier.
  • d’un financement transparent et protégé du pouvoir exécutif.

C’est ce type d’instrument, mesurable et visible, qui empêche une transition de redevenir une rente.

Ces mesures ne remplacent pas la politique. Elles empêchent la corruption d’écrire la Constitution.

Les garde-fous indispensables

  • Un texte opposable de non éligibilité pour les autorités de transition.
  • Un calendrier électoral daté et séquencé sur douze mois au maximum.
  • Une transparence bimensuelle des dépenses publiques avec un focus eau, électricité, sécurité et justice.
  • Un observatoire des libertés indépendant avec mécanisme de plainte et revue hebdomadaire des interpellations.
  • Un plafond légal du gré à gré avec audits trimestriels publiés.

Diapason recommande quatre indicateurs simples à suivre chaque semaine.

  • Part de militaires dans les directions civiles.
  • Part du budget dédiée à la défense et à la sécurité comparée à l’eau et à l’électricité.
  • Nombre d’interpellations liées à l’expression civique (l’expérience africaine).
  • Part des marchés attribués de gré à gré.

Les clés d’une sortie réussie

Les pays qui ont réussi partagent un même parcours. Une règle écrite et non négociable. Un calendrier opposable. Des arbitres internes et externes crédibles. Une institution anticorruption effective. Une première alternance pacifique et acceptée.

Pour Madagascar, la priorité n’est plus d’écrire des discours de rupture. La priorité est d’installer des procédures qui limitent la tentation de durer. La transition doit être jugée à la vitesse de son assainissement et à la lisibilité de ses preuves, pas à la qualité de ses slogans.

Conclusion

L’Afrique est entrée dans une ère où les coups d’État se présentent comme des transitions vertueuses. Le réalisme impose de juger ces épisodes sur des preuves et non sur des intentions.

Madagascar se trouve à un carrefour. Prolonger l’ordre militaire et rejoindre la liste des transitions captées. Ou transformer la refondation en contrat d’intégrité public fondé sur l’eau, l’électricité, la justice et la transparence.

Le véritable courage politique ne consiste pas à promettre la rupture. Il consiste à créer des règles qui rendent cette rupture possible, vérifiable et durable.

Sources et traçabilité

Rapports récents de la CEDEAO, de Transparency International et du GRECO. Dossiers Diapason Piège Népal, Richesses et Radioscopie d’un pays fragmenté. Études de cas Portugal, Corée du Sud, Chili, Ghana, Indonésie et Gambie.

Rédaction – Diapason

L’Afrique et ses transitions (Accéder au dossier complet)

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1 commentaire

Vos commentaires

  • 8 novembre à 10:38 | Vohitra (#7654)

    Le doute senti à l’endroit du Conseil pour la Refondation de la République commence à devenir persistant ces derniers temps, tant dans ses démarches et prises de décisions que dans sa vision et perception de ce qu’est la Refondation proprement dite...

    Un organe de suivi et évaluation disposant de capacité de sanction s’avère utile pour superviser les actes, actions et décisions dudit Conseil pour la Refondation de la République. Dans ce cas, le Chef du gouvernement, si vraiment son utilité s’avère nécessaire, devra être issu de ce Conseil...et le Conseil ainsi que le gouvernement pourraient être révoqués par l’organisme de suivi et évaluation.

    Et qui fera partie de l’ Organisation de Suivi Évaluation ?
    C’est la feuille de route de la transition ou acte fondamental qui déterminera sa mission et sa composition.

    Au cours de l’élaboration de cette feuille de route, deux entités devraient être représentés uniquement à titre de Conseil consultatif MAIS n’auraient jamais, au grand jamais de rôles délibératifs, ce sont « les Forces de défense et sécurité » ainsi que « les partis politiques ». La GEN Z ainsi que les entités de la société civile ayant vocation de Suivi des élections et des défenses de droits de l’homme, de luttes anti-corruption seront les composantes essentielles de OSET (Organisation de Suivi et Évaluation de la Transition ).

    Parallèlement, la Gen Z devrait se structurer impérativement et avoir une personnalité de représentation.

    Dans la situation actuelle, il est dangereux pour la Nation de laisser une entité en dehors de la révolution réalisée de diriger la Nation au nom de la République tout en laissant les institutions de l’ancien régime en place et prendre part dans la conduire de la transition politique.

    C’est la souveraineté populaire dans le cadre d’une démocratie directe.

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