Le 14 mai 2010 le SeFaFi avait diffusé un communiqué intitulé : « Mettre un terme à la dérive des jours fériés », lorsque cette journée, un vendredi après l’Ascension avait été décrétée « pont » la veille. En conclusion, ce communiqué disait : « Le SeFaFi suggère qu’à l’avenir les tenants du pouvoir s’interdisent ces improvisations antiéconomiques et se conforment aux dispositions des lois en vigueur ». Force est de constater, que cette suggestion, renforcée par d’autres déclarations de citoyens ou de chroniqueurs n’a pas été suivie.
Hier 30 Octobre 2012, le communiqué suivant a été diffusé sur le site web de la Présidence de la Transition : « Par Décret n° 2012 – 960 pris en Conseil du Gouvernement du 30 Octobre 2012, est déclarée fériée, chômée et payée sur tout le Territoire de la République, la journée du 02 novembre 2012 ». La décision a été prise et diffusée trois jours avant la journée en question. La totalité du décret n’ayant pas été communiqué, il n’a pas été possible de vérifier si le Conseil National du Travail a été consulté. Mais il est plus que probable qu’il ne l’a pas été.
La sortie de ce décret révèle trois problèmes fondamentaux :
- Une (autre) dérive dans le non-respect de la loi
- L’insuffisance, voire le manque de dialogue”¨
- Les pratiques antiéconomiques
Non-respect de la loi
Le texte de référence principal est le Code du Travail. En effet, la loi N° 2003-044 du 28 juillet 2004, portant Code du Travail en son article 81, dit : « ...La liste annuelle LIMITATIVE des jours »ponts« et celle des jours fériés font l’objet d’un décret pris EN DÉBUT D’ANNÉE, après avis du Conseil National du Travail. » Cet article n’a pas été amendé.
Le décret N°2012-046 fixant la liste des jours fériés, chômés et payés au titre de l’année 2012 pris en janvier 2012, et dont l’article 3 dit : « Toute autre journée autre que celle prévues par le présent décret et qui sera déclarée chômée et payée doit faire l’objet d’un décret publié une semaine à l’avance », est en contradiction flagrante avec le Code du Travail. Il n’est donc pas légal. Ni dans la lettre, ni surtout dans l’esprit. Car le Code du Travail de 2004 voulait en finir définitivement avec les ponts et autres jours fériés décidés de manière intempestive par l’administration.
Et le décret qui a été pris hier ne respecte pas le décret déjà illégal, de janvier 2012 : il a été pris et diffusé trois jours, et non une semaine, avant la journée déclarée pont. Y a-t-il une raison majeure à ce décret ? Si cette raison existe, elle n’a pas été en tous cas, révélée. Le prochain pont pourrait être décidé la veille !
Pour faire justice (?) cette année, le vendredi 30 mars 2012 avait été « épargné », mais en mettant une certaine pression sur les employeurs. Le vendredi 18 mai 2012, vendredi de l’Ascension, a été également « épargné ». Heureusement, car l’Ascension tombe toujours un jeudi tous les ans et il y avait un risque de prendre une très mauvaise habitude.
Par contre le décret N° 2012-507 déclarant « pont » la journée du 30 avril 2012 veille de la fête du TRAVAIL, a été pris le 24 avril 2012 et diffusé le 26 ou le 27. Le Décret N° 2012- 630 déclarant chômée et payée la journée du 25 juin 2012, veille de la fête nationale, a été adopté par le Conseil de Gouvernement du 14 juin 2012. Ces deux décrets sont aussi illégaux.
Insuffisance ou manque de dialogue
Le Conseil National du Travail semble avoir été consulté pour le décret illégal qui a été pris en janvier 2012. Et apparemment - ce n’est pas mentionné en tous cas, pour la sortie du décret N° 2012-507 du 24 avril 2012, il n’a pas été consulté. Pour le Décret N° 2012- 630 déclarant chômée et payée la journée du 25 juin 2012, il n’y a pas eu non plus de consultation du Conseil National du Travail. Et cette fois-ci encore, il est fort probable que le Conseil National du Travail n’ait pas été consulté.
Normalement, conformément à la Convention N° 144 et à la recommandation N° 113 de l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail, - convention et recommandation que Madagasikara a ratifiées -, le « dialogue social tripartite » constitue un des principes de base de la gouvernance du monde du travail. « Tripartite » car ce sont l’État, les Travailleurs et les Employeurs qui constituent à égalité les trois parties prenantes du dialogue. Ils sont d’ailleurs appelés les « mandants » du Bureau International du Travail. Concrètement, le Conseil National du Travail ou CNT a été institué pour permettre ce dialogue tripartite. Ce conseil continue-t-il à fonctionner normalement ? Ou bien : y a-t-il dysfonctionnement uniquement quand il faut décréter les « ponts » ? Tout le monde du travail est en droit d’avoir des réponses précises à ces questions. C’est un minimum pour la redevabilité.
Ce serait d’ailleurs intéressant d’avoir l’avis de nos syndicats d’employeurs et de travailleurs sur ces cas de « transgression » de convention et de recommandation de l’Organisation Internationale du Travail, et de savoir s’ils les ont mentionnés dans leurs rapports périodiques à cette institution.
En temps normal le dialogue est nécessaire. En temps de crise, il devient une priorité, sinon « la » priorité. Il constitue la base de la paix sociale. Quand il est bien mené, il est également la source la plus féconde d’idées. La Transition ferait œuvre utile en redynamisant voire en rénovant le dialogue social.
Il est temps de faire l’évaluation de tous ces conseils sectoriels qui ont été mis en place et d’étudier leur articulation avec le Conseil Économique Social et Culturel, objet de l’article 105 de la Constitution (encore contestée) de 2010. En effet ce CESC pourrait être une avancée considérable dans la qualité du dialogue social, à condition que les politiciens n’essaient pas encore de le récupérer et de le noyauter et que le monde économique et la Société Civile s’organisent mieux et prennent leur responsabilité. Bien que la Feuille de Route n’en parle pas, la mise en place de ce CESC pourrait être étudiée, voire réalisée par la Transition. C’est un beau challenge, et dont la mise en œuvre devrait intéresser certains partenaires techniques et financiers ou encore certains Pays amis.
Dans le monde du travail et de l’emploi, par exemple, en plus du Conseil National du Travail et du Conseil Supérieur de la Fonction Publique, il a été mis en place le CNSPERP, ou Comité National de Suivi de la Promotion de l’Emploi et de la Réduction de la Pauvreté afin de débattre de la problématique de l‘emploi et de piloter la mise en œuvre de la Politique Nationale de l’Emploi et du Programme National de Soutien à l’Emploi. Bien que le chômage et surtout le sous-emploi constituent des problèmes cruciaux, notamment pour les jeunes, ce lieu de concertation sur l’Emploi, malgré un soutien très pertinent du Bureau International du Travail, a à peine fonctionné depuis sa création en 2005.
Pratiques antiéconomiques
Même si les termes utilisés peuvent parfois se cacher derrière la prudence diplomatique, le verdict de la Note d’analyse de la situation économique à Madagascar que la Banque Mondiale vient de sortir est plus qu’accablant. La situation déjà très difficile vécue par la majorité des ménages, n’arrête pas de se dégrader.
Combien coûte à l’économie nationale une journée d’arrêt de travail ? Surtout lorsque cet arrêt n’est pas planifié et est donc source de désorganisation et de coûts supplémentaires. Tout le monde doit se dire à Madagasikara que la première source de richesse est le travail régulier et décent, dans la sérénité.
Ensuite a-t-on pensé aux conséquences que ce genre de pratique peut avoir sur les investisseurs potentiels ? C’est l’investissement qui crée l’emploi et permet la productivité.
Et enfin a-t-on pensé à la détérioration lente mais inéluctable, de la qualité du dialogue social, conséquence du non-respect des instances qui ont été mises en place par la loi pour le pratiquer. Et tôt ou tard, cette détérioration du dialogue social aura de graves et fâcheuses conséquences sur tout l’appareil productif de la nation. Car les relations de travail sont quand même au cœur de cet appareil productif.
Et pour ne pas conclure...
Démagogie, populisme de bas étage, tactique politicienne : rien ne doit justifier le non respect de la loi. Surtout de la part de ceux qui détiennent le pouvoir de la mettre en œuvre. Et surtout quand ce pouvoir manque de légitimité.”¨Un passage de la Note d’analyse de la Banque Mondiale dit que la « crise a mis fin aux progrès des défis de longue durée que sont la faible gouvernance et l’État de droit » [1] . Cet article a essayé de démontrer que la dérive des « ponts » fait partie de cette régression de la gouvernance et de l’État de droit. Devons nous nous y résigner ? Surtout pas. Et surtout pas les jeunes. Tous les citoyens de ce Pays doivent se lever et exprimer leur indignation : halte à la « dérive des ponts » !
Ralison Andriamandranto
31 octobre 2012