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Editorial

Une odyssée sans « tsiny »

lundi 24 novembre 2014 | Soamiely Andriamananjara

Réussir, c’est avoir parcouru un long chemin sans « tsiny ». Tout le reste est secondaire.

Cette semaine est celle du Thanksgiving pour les États-Unis. C’est une fête que les Américains observent pour faire une pause et réfléchir sur l’année écoulée. C’est une occasion de se réunir avec les proches, partager un bon repas et profiter d’une agréable compagnie. Plus important encore, c’est un temps pour apprécier et être reconnaissant pour les bénédictions qu’on a reçues - qu’il s’agisse de bonne santé, de la famille et des amis, d’un coup de chance, d’une initiative couronnée de succès ou d’autres réalisations, grandes ou petites.

Cela me fait penser à la conception assez particulière de l’accomplissement individuel et du succès dans la culture malgache. La plupart d’entre nous ont sûrement été dans des situations où nous avons pris certaines initiatives et obtenu des résultats importants, seulement pour être déçu en recevant critiques et blâme à la place de la reconnaissance que nous avions pensé mériter. Ce n’était pas nécessairement parce que nous avions manqué de bonne volonté, cela aurait pu être provoqué par le fait que nous avions brisé certaines normes sociales bien établies et que nous ayons offensé certaines sensibilités dans le processus de réalisation de ces résultats importants. Quelque part le long du chemin, nous aurions pu être atteint du « tsiny ».

Dans la culture malgache, la société définit l’individu : elle est l’espace où l’individu peut s’épanouir, se mettre en valeur et profiter de la vie dans toute sa plénitude. Nous avons un très fort désir d’être un membre reconnu et contributeur de notre société. La coexistence harmonieuse avec le reste de la communauté est plus importante pour nous que toute autre chose. Faire partie d’une société signifie naturellement respecter ses règles et ses normes. Il s’en ensuit faire les choses de la façon dont la société s’attend à ce qu’elles soient faites. S’écarter de ces normes perturbe l’harmonie sociale et va inévitablement attirer la condamnation et la désapprobation de la communauté. Une préoccupation majeure de l’individu malgache est d’éviter une telle censure. D’éviter le « tsiny ».

La société malgache a tellement de règles sociales non écrites, de normes et conventions - pour la plupart héritées de nos parents et ancêtres. Bien qu’elles existent toutes dans notre psyché collectif, il serait très difficile pour un Malgache typique de les connaître toutes et de les maîtriser tout le temps. Il aura, par conséquent, tendance à se surveiller, à être prudent et peu confiant au moment d’entreprendre quelque chose de substantiel. Il se sentira souvent un certain degré de nervosité, d’anxiété et même de culpabilité : comment peut-il être sûr qu’il fait tout correctement selon les normes sociales acceptées, quand il n’est même pas sûr de ce que sont ces normes ? Connaissant ses propres limites, il s’efforcera de ne pas se surexposer à trop de « tsiny ».

Avant d’entreprendre toute entreprise importante, le Malgache se sentira le besoin de demander préventivement soit le pardon (« miala tsiny ») soit une bénédiction (« mangataka tso-drano ») de la société pour toutes les normes sociales qu’il pourrait violer ou ignorer dans le processus. Quiconque a écouté un « kabary » malgache traditionnel est très conscient de ceci : l’orateur passerait bien les trois quart de son temps de parole à s’excuser et à demander pardon pour toute éventuelle offence ou transgression qu’il pourrait être amené à commettre. Ce n’est pas une perte de temps. C’est pour assurer l’harmonie sociale, la cohésion sociale, et l’acceptation sociale de tout possible résultat. C’est une manière d’atténuer le potentiel d’un éventuel « tsiny ».

Dans un monde globalisé où être « orienté vers les objectifs » et « axée sur les résultats » caractérise les individus qui réussissent, les Malgaches se distinguent en ce que nous nous concentrons davantage sur le processus et moins sur les résultats. Nous sommes programmés pour mettre plus de poids sur « comment » les résultats sont atteints que sur « si » et sur « quels » résultats sont obtenus. Faire la bonne chose n’est récompensé que si cela se fait selon les normes sociales acceptées. Réaliser de grandes choses est totalement dénué de sens si vous ne respectez pas les protocoles socialement établis. Aucune réalisation ne sera reconnue si elle a des traces de « tsiny ».

En effet, ce qui est important pour le Malgache n’est pas nécessairement la destination mais le voyage pour y arriver. Et ce qui nous amène le plus de bonheur et de satisfaction est d’avoir un bon voyage au cours duquel nous nous sentons comme étant une partie de notre communauté. Pour nous, réussir est avoir parcouru une route sans « tsiny ». Que nous atteignions ou non la destination prévue est secondaire. Quoi qu’il en soit, arriver à notre destination pourrait signifier la fin d’un agréable voyage en bonne compagnie, ce dont nous n’avons pas forcément envie.

Thanksgiving est cette semaine. C’est un bon moment pour compter nos bénédictions et réfléchir sur les choses pour lesquelles nous sommes les plus reconnaissants. Les choses que nous ne devrions pas considérer comme des acquis. Je suis reconnaissant pour ma famille, pour leur amour et leur soutien. Mais je suis aussi très reconnaissant d’avoir pu partager ce voyage avec vous, pour avoir pu partager mes pensées avec vous. Je ne sais franchement pas où ce voyage nous mènera, et je ne m’en inquiète vraiment. À la fin de la journée, nous pourrions ne pas atteindre quelque chose, et ce serait aussi bien pour moi. Je sais juste que cela a été un voyage agréable jusqu’ici (même s’il a probablement été chargé de « tsiny »). Pour cela, je suis reconnaissant. Happy Thanksgiving ! (Et pour toutes les éventuelles offenses, « miala tsiny » !)

16 commentaires

Vos commentaires

  • 24 novembre 2014 à 11:13 | plus qu’hier et moins que demain (#6149)

    Assalamo alaikoum

    Quant on gobe/honore tout ce qui vient d’ici et d’ailleurs sans discernement et sans possibilité de les transformer en atout, nous resterons toujours une société sans avenir/à la dérive.

  • 24 novembre 2014 à 13:59 | valoha (#7124)

    Manakarena ny Haifomba Malagasy, ny Kolon-tsaina, ny Soatoavina ! Mihaiky io avokoa ny eran-tany, na dia somary tsy atao mivantana aza izany !
    Ny Thanksgiving dia fisaorana N y Avo noho ny vokatra tsara niakatra, tsara ny jinja ka manao toa ny « famonoana aomby » misaotra an-Djanahary ny Amerikana sy ny Anglisy.
    Samy manana ny fombany moa ny olona isaky ny tany sy ny toerana misy azy avy. Tsy ambanin’izany ny antsika eto !
    Ary tsara dia tsara ny ifikirana, itahirizana, ho saro-piaro amin’ny fombantsika isika fa io no Maha-Malagasy ny Malagasy. « Tahio ny an’ny tena fa ny an’olo tsy ho meny e ! », hoy ny avy any Menabe.
    Fomban’ny Protestanta ihany koa ny Thanksgiving, ary eo no mihaona ny mpianakavy, na ny avy lavitra na akaiky ! Mifamela, mifanapatapaka, mijery ny lasa, ary mibanjina ny ho avy. Inona moa no maharatsy ny Sambatra any Atsimo-Atsinanana ? Tsy izany ihany ve ny foto-kevitra, na dia tsy misy famonoana vorintsiloza aza !
    Io saina sy toetra mijery sy maka tahaka lava ny any ivelany io no nahavoa, ahavoa, ary anenenana mafy any aoriana raha tsy mitandrina isika !
    Manizingizina etoana fa tsara lavitra sy mifototra amin’ny rariny sy ny hitsiny ny Malagasy, ka tokony ifikitra hatrany @ ny Fombany sy ny Kolontsainy !

  • 24 novembre 2014 à 14:26 | jules (#2904)

    Quand je lis« En effet, ce qui est important pour le Malgache n’est pas nécessairement la destination mais le voyage pour y arriver. » Je me marre, en fait il faut lire : En effet, ce qui est important pour le Malgache n’est pas la manière mais de réussir à s’enrichir à tout prix.

    • 24 novembre 2014 à 14:56 | Isambilo (#4541) répond à jules

      « Le Malgache ». Vous pouvez le définir ? Cette façon de tout mettre dans un même panier, de généraliser, nie la diversité des êtres humains et la possibilité d’avoir une personnalité.

    • 25 novembre 2014 à 11:39 | Isandra (#7070) répond à jules

      Parce que les Caïdes de Marseille et Saint seine Denis, les riches en France qui placent leur argents au Paradis fiscaux pour s’échapper le fisc français..., les mafias de Sicile et les cartels du sud américain sont tous de Malagasy,...!

    • 25 novembre 2014 à 13:29 | Tsisdinika (#3548) répond à Isandra

      Za mbô gaga.

      Les Malagasy n’ont pas inventé l’âpreté au gain, la cupidité ou la voracité.

      Avant même que notre nation ait vu le jour, votre histoire à vous les occidentaux sont parsemés d’exemples du genre, ra-jules kely a.

      Itony tena vazaha tsisy saina fa zatra manambany nefa tsy haninon-tsy haninona.

  • 24 novembre 2014 à 15:05 | Isambilo (#4541)

    Ny faty alevina no adino illustre que le Malgache est comme n’importe quel individu. Ce n’est pas parce qu’on attache de l’importance à la manière de procéder qu’on oublie le principal.
    Vous transposez le kabary, qui est un acte social avec ces codes, à la démarche intellectuelle d’un individu. Ce sont deux plans différents.
    Je sais pas à quoi correspond ce thanksgiving américain mais ça ressemble au « grand pardon » juif ou à la confession catholique. Cette coutume n’a pas l’air d’exister à Madagascar. Mais à chaque pays son folklore et tant mieux.

    • 27 novembre 2014 à 12:38 | sorajavona (#1134) répond à Isambilo

      Le Fandroana était un moment de réconciliation sociale et familiale

  • 24 novembre 2014 à 15:24 | Turping (#1235)

    - A la base , la mentalité malagache même avant la colonisation se reposa sur plusieurs critères de sagesse : Le soatoavina ,le Fihavanana ,ny firasan-kina ,ny fandriampahalemena ( fraternité ;amitié ;solidarité ;paix ,...).

    - Valeurs perdues au fil du temps car depuis l’indépendance au lieu de definir le cap ensemble ,une vision lointaine sur le long terme ,c’est le contraire qui s’est produit (la politique du chacun pour soi) où les malgaches se sont livrés à eux mêmes sans attendre leurs politicards où se remplir les poches se l’approprier ,marcher les uns dans la g.ueule des autres dès que l’occasion se présente était devenu le leitmotiv et la raison pour laquelle qui motive la plupart des politiciens pour faire la politique « le rôle de l’usurpateur » ,se remplir les poches ,les déluges après moi .Au lieu de servir ,se servir devient la tendance avec les propos logorrhéiques endormir encore le peuple agonisant.
    - Le « tsiny » proprement dit c’est une sorte de malédiction ,si les malagaches y compris leurs dirigeants ne reviennent aux sources « des valeurs ancestrales » .
    - La question est de se poser les questions et les solutions à y apporter afin que le peuple malgache se révéille ,de faire une pression révolutionnaire( une vraie révolution non manipulée par quelques franges mafieuses comme celle de 2009) sans oppression.
    - Le « tsiny » ne doit pas avoir sa place si les malgaches restent unis ,s’entraident pour faire avancer le mode de vie sociétale par les gouvernants intègres qui ne se prostituent sur des intérêts restreints entre les mafieux ,les étrangers ,....mais plutôt en défendant les valeurs malgaches ,(lutte contre la corruption ,une valeur exportée à outrance ), (lutte contre les intérêts mafieux ,de l’argent facile )....les insécurités.
    Masina ny Tanindrazana !

  • 24 novembre 2014 à 15:59 | kakilay (#2022)

    « Dans la culture malgache, la société définit l’individu : elle est l’espace où l’individu peut s’épanouir, se mettre en valeur et profiter de la vie dans toute sa plénitude. Nous avons un très fort désir d’être un membre reconnu et contributeur de notre société. La coexistence harmonieuse avec le reste de la communauté est plus importante pour nous que toute autre chose. Faire partie d’une société signifie naturellement respecter ses règles et ses normes. Il s’en ensuit faire les choses de la façon dont la société s’attend à ce qu’elles soient faites. S’écarter de ces normes perturbe l’harmonie sociale et va inévitablement attirer la condamnation et la désapprobation de la communauté. Une préoccupation majeure de l’individu malgache est d’éviter une telle censure. D’éviter le « tsiny ». »

    Sommes nous sûrs que ceci est propre à la culture Malagasy ?

    La première acceptation du « tsiny » serait « reproche ». On ne remet pas en question le communément admis. Malheur à celui par qui le scandale arrive. Socrate lui-même, ou Jésus, en connaîtront les saveurs. Sortir des sentiers battus : dans toute communauté, cela ne va pas de soi... D’où la notion des affranchis... des initiés. Et n’oublions jamais que la médiocrité vient du mot média ou médium qui en son sens premier est moyen. Mais en tant qu’intermédiaire, elle est une position tierce, exclue des deux qui s’excluent : donc transcendante. La médiocrité naquit un jour de l’uniformité. La médiane résulte de la contradiction qui engendre la création. Le mi-lieu peut être lieu de dissolution ou inconfort de n’être d’aucun milieu. Aspiration d’un autre milieu, à un autre milieu. La crise : l’espace de tous les opportunistes et des profiteurs, des bois de rose, des dahalo en instance de conversion, des chapardeurs d’huile et de riz de Tiko, des dj en mal de méditation.

    Pour un nouveau pacte social : sortir de la médiocrité.

    • 24 novembre 2014 à 17:50 | kakilay (#2022) répond à kakilay

      Et ou car cependant : ny adala no toa an-drainy.

  • 24 novembre 2014 à 16:21 | Jipo (#4988)

    Thanksgiving est un fomba gasy : fady .

    • 24 novembre 2014 à 16:51 | Turping (#1235) répond à Jipo

      - Ne confondez pas le terme de « Thanksgiving » américain aux pratiques des animistes qui n’a pas de caractère réligieux ni athéiste .
      - Vous qui vivez sur les côtes à Madagascar,beaucoup de gens qui prient sur les objets voire les animaux ,crocodiles , les serpents ;les ody gasy « la sorcellerie »......Ces derniers utilisent le mot « fady » avec leurs croyances érronées en la matière.Pratiques qui ne doivent pas être généralisé de la totalité l’ensemble du territoire .C’est la raison pour laquelle ,le renforcement du système éducatif est plus que jamais l’une des prioritaires du gouvernement pour chasser l’ignorance et l’esprit malsain.

    • 24 novembre 2014 à 17:18 | Jipo (#4988) répond à Turping

      Deuxième « grady° », un peu d’ humour ne fait pas de mal .
      Ce qui n’ empêche pas certains de croire aux pakafo, ou pamosavy et qui faute de ne pas etre de la « côte » : ne l’ ont pas plus ☺ .

    • 24 novembre 2014 à 17:21 | Jipo (#4988) répond à Jipo

      Je voulais simplement dire que se remettre en cause ne fait pas partie des spécialités locales, qu’ elles soient balnéaires, ou montagnardes...

  • 25 novembre 2014 à 12:04 | hafatra (#1895)

    Thanksgiving .....quelle histoire !

    Des peres pelerins sans visa (immigration illegale), mourant de faim et de scorbut decouvrirent( les européens se vantent toujours de decouvrir des peuples,des terres...) une action humanitaires des indigenes Wampanoags, qui leur offrirent des nourritures ,parmi lesquelles le fameux « turkey ».

    Quelques années plus tard , le continent sera envahis par d’autres sans papiers d’europe libres et d’afrique enchainés.liés et vendus comme du betail....

    Les temps ont changé mais les maitres sont toujours lá ,ils s’appellent goldman &sachs, aig, jp morgan, la fed etc....et les esclaves se trouvent dans le monde entier.

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