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vendredi 29 mars 2024
Antananarivo | 14h32
 

Tribune libre

« C’est en gardant le silence au lieu de hurler que l’Homme devient un lâche » (Abraham LINCOLN)

mercredi 28 avril 2010

Nous portons le deuil dans notre âme et conscience depuis le 17 mars 2009, date du début de la tragédie qui s’est abattue sur le Pays et qui a provoqué sa rapide et inexorable décomposition : décomposition morale, politique, économique, sociale, culturelle. Les Institutions sont devenues des caricatures et la démocratie réduite à d’horribles oripeaux. Madagascar vit sa plus noire de son existence après celle de 1947 et prend l’allure d’un Pays occupé, comme l’était en son temps une certaine France par l’abominable régime nazi.

Nous sommes horrifiés et indignés du fait de cette même France qui vient de tomber les masques. En présentant d’une façon éhontée et grossière « sa feuille de route » qu’elle prétend substituer aux accords cosignés de Maputo et d’Addis-Abeba, accusés par elle d’inapplicables [1].

Nous comprenons alors pourquoi Andry Rajoelina n’a pas hésité à renier sa signature. Parce que l’État français, embusqué derrière lui, n’a pas trouvé ses comptes dans ces accords. Nous comprenons alors, d’une façon fulgurante, pourquoi la situation est bloquée et par QUI : parce que l’État français a dans ses papiers son propre schéma, plus conforme à ses intérêts et à son objectif ultime.

Le 27 mai 2009, depuis l’Afrique du Sud Marc Ravalomanana n’avait-il pas accusé les Français d’avoir été derrière le coup d’Etat ? C’est à peine si les médias en ont fait mention [2]. Nous savons maintenant que le Président, qui possède sans aucun doute ses propres sources de renseignements, n’a pas fait cette déclaration dans un moment de délire ou d’égarement.

D’ailleurs, un faisceau de faits convergents balise la traçabilité de l’implication de l’État français dans la persistance de la situation actuelle.

a) la présence auprès de Andry Rajoelina dès les premières heures du putsch d’un Conseiller français,

b) l’activisme forcené de son représentant sur place (présentation de lettre de créance, présence physique lors du sacre du « nouvel Homme fort de Madagascar », rencontres incessantes avec ce dernier et avec d’autres personnalités susceptibles de servir de jokers à la solde de la France),

c) l’accueil de ce dernier par Paris après le camouflet à lui infligé par l’Assemblée Générale de l’ONU (septembre 2009),

d) sa rencontre largement médiatisée avec des parlementaires UMP en France,

e) le grouillement pathétique des émissaires du Quai d’Orsay sur les lieux lors de Maputo 2,

f) la sortie, à point nommé, de cette « feuille de route », présentée par Alain Joyandet et aussitôt agréée par Andry Rajoelina lequel est prêt, semble-t-il, à la signer les yeux fermés,

g) l’embargo de la presse française sur la tenue quasi-quotidienne des manifestations des partisans de la Légalité et les Accords de Maputo / Addis-Abeba, ainsi que sur l’émergence du Mouvement des Ecclésiastiques (Hetsiky ny Mpitondra Fivavahana),

h) le silence étonnant de l’importante communauté française à Madagascar, témoin privilégié des évènements,

i) très subsidiairement, la très suspecte « Lettre ouverte » d’un Père Pedro [3] (récemment décoré de la Légion d’Honneur française) adressée à Louis Michel, Commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire et actuellement co-président de l’assemblée paritaire ACP-UE.

Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive, car ne sont évoqués ci-dessus que les faits les plus visibles. Mais qui constituent au total l’équivalence d’une reconnaissance officielle de fait de la France à l’endroit de l’Autorité de fait Malagasy.

Ce faisant, l’Etat français reste fidèle aux grandes manœuvres, très « géopolitiques » et à quelques variantes près, déployées dans maints Pays Africains (Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Mauritanie, Gabon, Niger, etc…).

Ce qu’il n’a pas apparemment prévu, c’est cette mobilisation quasi-immédiate contre le coup d’État, autour du thème de la Légitimité et de la Légalité, radicalisé depuis par celui de la Défense de la Souveraineté et de l’Indépendance. Malgré la guerre d’usure que lui imposent l’Autorité de fait, le Peuple Malagasy ne va pas prêter main forte à l’État français dans son acharnement à vouloir de nouveau planter, en plein XXIème siècle, son tricolore en haut du Palais de Manjakamiadana !

Car il nous semble très clair à présent : les autorités françaises veulent à tout prix que la Grande Île reste française et que le futur Président (qu’elles essaient de faire élire dans des élections forcées) soit un « ami de la France ». A l’instar de maints Chefs d’États Africains, contestés et haïs par leurs Peuples car élus dans des conditions nébuleuses.

Cela signifie, dans le cas de Madagascar, que tous les moyens leur sont bons, pour empêcher le retour au pouvoir d’un certain Marc Ravalomanana.

A posteriori, nous osons affirmer que si ce dernier n’avait pas pu quitter Iavoloha pour l’exil en mars 2009, il y aurait (au sens propre) laissé sa peau. Cela aurait en effet arrangé beaucoup de monde et un État en particulier. Et sa mort, comme celle du Colonel Ratsimandrava, aurait constitué une énigme de plus, à jamais élucidée. Ou alors, ses ennemis auraient prouvé « qu’il s’est suicidé » ?

En 2009, le PNUD a publié le classement de tous les Pays du Monde [4] selon leurs IDH 2007 respectifs… Madagascar y tient le 145ème rang sur 182 et appartient en 2007 aux Pays à IDH moyen. Sur les 25 Pays classés derniers (à IDH faible) 11 sont des ex-colonies françaises. Nous refusons de croire que c’est là le fait du hasard ou d’un quelconque malédiction.

Certes les dirigeants de ces Pays et leurs Peuples y ont certainement leur part de responsabilités. Mais à y regarder de près, les poids de l’esclavage et de la colonisation, relayés par les manœuvres incessantes de ce qu’on appelle la Françafrique font que l’Afrique reste un continent noir, noir de violences, de misères, de pillages, de corruptions, d’élections forcées et truquées, de coups d’État, de génocides… et se trouve reléguée au rang des pays immergents.

Pour s’en convaincre, il faut entendre le discours de M. Sarkozy, prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université Cheick Anta Diop du Sénégal. Discours, édifiant s’il en est, et qui a soulevé l’indignation de nombreux intellectuels Africains [5]. Il y a manié en effet, avec sa manière à la fois directe et insidieuse la basse flatterie et les contre-vérités, démontré sa méconnaissance de l’Histoire de l’Afrique Noire et ses Peuples. Pour mieux culpabiliser sans vergogne ces derniers et mieux édulcorer les responsabilités de la France coloniale passée et présente. De la repentance, il n’a voulu rien entendre. Au contraire, c’est à peine s’il n’a pas exigé de la part de l’Afrique ingrate, le pardon à la France Éternelle, grand bâtisseur de ponts, de route, d’écoles, d’hôpitaux !

Qu’on ne se méprenne pas sur nos propos. Nous même de formation française. Nous respectons le Peuple Français et la France, celle des Droits de l’Homme, celle qui a connu la souffrance et l’humiliation pendant l’Occupation nazie, celle qui lutte pour le rayonnement de sa langue et de sa culture à travers le Monde.

Mais nous dénonçons et condamnons d’autant plus vigoureusement la politique menée par l’Autre France, sournoise et conquérante, qui veut imposer ses propres intérêts au détriment et au mépris de ceux des Autres.

Antananarivo, le 27 avril 2010

Adolphe E. RAKOTOMANGA
Président de l’Association Force de l’Education et de la Recherche (HFF/FER)
Maître de Conférence
Université d’Antananarivo

Notes

[1Alors que ces Accords ont reçu la caution et le soutien des organisations internationales (ONU), continentales (Union Européenne, Union Africaine) et régionales (SADC)

[2Cf. Midi Madagasikara du 27 mai 2009, page 3

[3Cf. Les Nouvelles du 03 avril 2010, page 2, dans laquelle, se basant sur la version française sur la crise et son origine qu’il a lue sur le site web du MAE français et qui accable Marc Ravalomanana, Père Pedro écrit notamment que « Madagascar est en paix malgré quelques accrochages qui se sont produits ici et là »

[4Cf. Rapport mondial sur le Développement Humain 2009, publié par le PNUD (octobre 2009)

[5Cf. « L’Afrique répond à Sarkozy » Editions Philippe Rey, 2008. Œuvre collective de 23 intellectuels Africains dont le Malgache Raharimanana.

8 commentaires

Vos commentaires

  • 28 avril 2010 à 10:58 | kotondrasoa (#3872)

    Mr philippe,

    Si l’article de Mr Rakotomanga vous semble hors de propos, ayez l’amabilité de répondre, s’il vous plaît.

    Mr Ramahefarisoa,

    Que votre appui à la France en prenne un coup.

    Malheureusement, Mr Rakotomanga, la culture malagasy du moramora nous fait complaire dans le silence et, les voix qui s’élevent dans le désert (surtout au sein de l’Armée qui est le principal acteur de cette décomposition) sont très loin des sites habités.

    Alors attendons que plusieurs membres soient vraiment décomposés pour agir.

    Ary izay mangina dia naman’ny nanongana !

    • 29 avril 2010 à 02:19 | niry (#210) répond à kotondrasoa

      M.Rakotomanga, maitre de conférences, j’en ai tout simplement les larmes aux yeux..Bravo.

  • 28 avril 2010 à 12:32 | râleur (#3702)

    Merci de la contribution.

    Evidemment que la France est derrière tout cela et qu’elle est même celle qui a aidée Ravalomanana à partir d’Iavoloha.

    On ne peut en vouloir à un grand pays de défemdre ses intérêts. C’est à nous malgache d’être assez ’’intelligent’’ pour défendre nos propres intérêts.

    C’est là la grande faute de Ravalomanana. Pourquoi avoir voulu affronter de face un adversaire plus fort que soit ? il aurait fallu faire comme dans les arts martiaux, utiliser la force de l’adversaire à son profit.

    Si Ravalomanana n’avait pas prêté le flanc en dirigeant le pays comme si c’était son entreprise, on n’en serait pas là. Il a mélangé ses intérêts personnels et les intérêts du pays, à partir de là, il était facile à abattre.

    S’il avait été un dirigenat intègre, il aurait pu résister avec l’appui des autres pays, autres que la France.

    Ce serait une erreur d’analyse que de mettre nos turpitudes sur le seul dos de la France ou autre françafrique.

    Ce sont nos dirigeants successifs, incapable de vision globale du monde et avide de richesse, mais pour eux-mêmes, qui ont amené notre pays là où il est. C’est à dire dans les ténèbres du sous développement

  • 28 avril 2010 à 14:12 | Raol (#529)

    Ben, c’est un point de vue comme tant d’autres, un point de vue que je qualifie simplement de tendancieux, pourquoi ? Parce qu’avec mes maigres connaissances (je ne suis pas un docteur ou un quelconque éminent dans un quelconque domaine), et ceux des autres malagasy (la majorité), je peux affirmer que je ne portais pas ( et jamais de la vie) le deuil dans mon âme depuis ce soit-disant 17 mars 2009 (date de la démission de dadavalo). La tuerie de 7 février commanditée par Mr Marc reste pour moi la journée de deuil que je porte jusqu’au profond de mon âme. Et les USA dans tout cela, quel rôle ils jouent dans cet affaire ? Pourquoi parler toujours de France et de coup d’état ? Et finalement, qui a intérêt à ce qu’il y ait des élections à Madagascar ? N’est-ce pas le peuple souverain ? Des élections forcées, dites-vous ? Oh non, le peuple malagasy a le droit, et dans le plus bref delais, d’élire ses représentants et son Président. Alors, fini les blabla, passons aux choses sérieuses.

    • 28 avril 2010 à 15:39 | Velo (#3981) répond à Raol

      Raol, vous qualifiez l’article de tendancieux mais je vous trouve tout aussi partisan en mettant la totalité de la responsabilté du 7 fevr sur le dos de Ra8 alors que lui a au moins le courage de demander une enquête indépendante contrairement à d’autre qui se contente de larmes de crocodile. Et la responsabilité de ces personnes qui ont envoyé (TGV sans qu’il s’y soit rendu lui même) et emmené (ses sbires) la foule pour envahir un palais presidentiel. Essayer d’envahir l’élysée ou la maison blanche et vous verrez.

      Je voudrais effectivement bien voir la réaction de Philippe et Basile à cet article.

      La vraie erreur de Ra8 est de ne pas avoir rompu toute relation diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale quand il pouvait encore le faire. Après, il était devenu trop tard et c’est cette même puissance coloniale qui a sournoisement osé cacher un putchiste dans sa résidence quand il était sur le point de se faire arrêter.

      Le Rwanda de Paul Kagamé a osé procéder à cette rupture quand la même France lui avait preparé un coup fourré. Le Rwanda ne s’est porté que mieux après la rupture et Kouchner est revenu, le froc baissé, pour négocier après quelques années et c’était Kagamé qui dictait les règles. Voilà ce qu’il fallait faire.

  • 28 avril 2010 à 14:59 | Rabisikileta (#3894)

    Des articles comme on les aime ici : une analyse profonde des faits, de tous les faits, un dédain pour les raccourcis faciles et les suppositions hâtives (!), et surtout, une mesure dans les conclusions, loin de tout esprit partisan, sans nul souci de plaire à un lectorat déjà conquis. Bravo !

  • 29 avril 2010 à 04:47 | diego (#531)

    Monsieur,

    « Les institutions sont devenues des caricatures et la démocratie réduite à d’horribles oripeaux. »

    Nous y sommes depuis un an : qu’on soit contre ou pour une mouvance, nous sommes dans le même bateau......les MALGACHES, du moins ceux qui sont allés à l’école ne semblent pas en prendre conscience, dommage !

  • 30 avril 2010 à 19:08 | FeoIray (#341)

    Nous vous remercions Monsieur le Professeur !
    Votre qualification est un grand plus pour cette lutte !

    Il y en par milliers qui se demandent encore sur l’implication de la France dans cette crise politique malagasy provoquée !
    C’est plus que répugnant, plus que révoltant parce qu’ils ne voient que leur propres interets !

    Mais en meme temps ils ont detruits tous ce que nous avons contruits, surtout l’economie, sans parler de la perte de nos valeurs sociales et morales !
    President Ravalomanana en a dejà mentionné que Renymalala veut recoloniser Madagacsar mais pas mal de personne n’y avait pas cru !

    Encore, millions de fois merci !

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